A chaque commémoration de la signature du Manifeste de l’Indépendance, soumis au Protectorat français en 1944, on n’en finit pas de vanter les mérites des signataires et leur abnégation dans le combat contre les sévices de l’occupant, mais on oublie souvent la contribution de la femme marocaine à l’épopée de l’Indépendance. Malika El Fassi en est un exemple de ces oublié(e)s de l’histoire. Qui est donc l’unique femme signataire de ce manifeste?
Militante née, femme politique, actrice de la société civile, formatrice, nationaliste, musicienne, éducatrice, actrice associative… que dire d’une femme exceptionnellement pionnière dans le Maroc des années 1930, 1940 et 1950?
Une des militantes anticolonialistes qui se comptent sur le bout des doigts au Maroc, Malika El Fassi fut l’une des rares femmes qui ont «osé» dans une société patriarcale porter les revendications indépendantistes des Marocaines. Elle fut l’une des rares qui ont pris la parole dans l’espace public afin de promouvoir l’éducation des filles.
On ne peut plus chanceuse par rapport à ses pairs, Malika El Fassi naquît en 1919 à Fès, dans une famille de lettrés. Son père, le juge de Fès Mehdi El Fassi, tenait à son éducation et à son instruction de manière égale à ses frères. Après qu’elle fut allée à Dar Fkiha (la maison de l’Erudite), son père lui amena des précepteurs dans différentes disciplines, entre autres les grammaires arabe et française, etc.
Une pionnière du journalisme
Et comme la famille reste le meilleur vecteur de la socialisation culturelle, la très jeune Malika commença à écrire des articles sous le pseudonyme « El Fatate » (la jeune fille), puis après son mariage avec son cousin Mohammed Ghali El Fassi (1935), qui était professeur du prince héritier Moulay Hassan, sous le pseudonyme de « Bahitate El Hadira » (chercheuse de la cité).
Ses articles sont parus dans le magazine «El Maghrib» et «Rissalate El Maghrib», puis sur le journal El Alam.
Pionnière du mouvement féministe marocain, Malika El Fassi qui maîtrisait l’art du récit traitait à travers des écrits de la situation des jeunes Marocaines. Dans un Maroc où l’analphabétisme des femmes était la règle, ses articles se saisissaient globalement de toutes les problématiques liées aux femmes de sa société.
Une féministe sous le protectorat
Revendicatrice de l’émancipation de la femme marocaine, elle a œuvré dans la lutte contre ce phénomène qui brimait encore de larges couches des Marocaines.
Elle était l’une des figures du Mouvement de promotion de la femme marocaine dans les années 1940 et 1950. Avec l’aide de son mari, qui était directeur de l’université Al Quaraouiyine, elle obtient l’accord de Feu Mohammed V pour ouvrir une section filles, secondaire et universitaire, à Al Quaraouiyine en 1947.
Parallèlement à son parcours de journaliste, elle fut l’une des rares femmes à adhérer au mouvement nationaliste. En 1937, à l’âge de 17 ans elle rejoint le comité secret, connu sous le nom de Taïfa qui constituera le noyau dur de ce qui va devenir après le parti de l’Istiqlal.
L’émissaire des nationalistes
Elle participe alors à l’élaboration du manifeste de l’indépendance avec ses compagnons du mouvement nationaliste, et le signe le 11 janvier 1944. Elle est d’ailleurs la seule femme parmi les 66 signataires.
Pendant les années 1940, la maison de Malika El Fassi devint le lieu de pèlerinage des dirigeants du mouvement national.
Grâce à son mari, devenu en 1942 professeur du prince Moulay Hassan, elle aura ses entrées au Palais. Elle jouera un rôle crucial dans la transmission d’informations entre le souverain et les nationalistes.
La nuit du 19 août 1953, elle entre déguisée voir feu Mohammed V, elle avait pu lui ramener une nouvelle Allégeance «Bayïâa» des Oulémas qui ont prêté serment pour continuer la lutte contre l’occupation française et retourner auprès des nationalistes avec les instructions du roi pour la Résistance. Selon plusieurs historiens, elle était la dernière personne à l’avoir vu avant son exil.
La mère de la résistance
Après avoir milité auprès du directeur français de l’Enseignement pour créer des écoles pour les filles, objectif qu’elle avait réussi, elle va s’investir après l’indépendance dans le grand Jihad, comme aimait l’appelait Feu Mohammed V, le combat de la construction d’un Maroc moderne et attaché à ses racines.
En 1956, elle est parmi les fondateurs de la Ligue marocaine pour l’éducation de base et la lutte contre l’analphabétisme dont elle était la vice-présidente. Ayant passé son permis de conduite en 1955, elle sillonna le Maroc afin de créer des centres et de pousser les gens à s’inscrire aux cours d’alphabétisation.
Elle est également parmi les fondateurs de l’institution de l’Entraide nationale, sous la présidence de la princesse Lalla Aïcha (1956). Juste après l’indépendance, elle présente une motion à feu Mohammed V pour le vote des femmes, qu’il adopte immédiatement.
Durant la même année, elle participe à la création d’une ONG, l’Association Al Mouassat, reconnue d’utilité publique. Malika El Fassi en est la présidente à partir de 1960. Cette association s’occupe des démunis, des sinistrés, des cancéreux, mais surtout des orphelines. Cette association héberge 120 filles. C’est une des premières à être choisie pour recevoir une subvention de l’INDH.
Ayant eu la chance d’apprendre à jouer du luth et de l’accordéon, elle a fondé avec Haj Driss Touimi Benjelloun Jamiyât Houat El moussika al Andaloussia. C’est entre autres, ce qui poussa l’écrivaine américaine, Alison Baker, à la désigner dans « Voices of Resistance » comme la mère de la résistance «The Foremother Of Resistance».