Société

Sois toi-même

Maï-Do Hamisultane Lahlou, écrivaine et auteure de plusieurs poèmes, romans et nouvelles, revient sur la dernière campagne en vogue sur le Net, “Sois un homme”.

Ce n’est plus un débat mais une guerre qui se livre au sujet de la tenue des femmes sur les plages marocaines. Au « Sois un homme », c’est à dire, si tu es un homme tu ne dois pas laisser ta femme aller à la plage non couverte, depuis quelques jours y répond le hashtag « Sois une femme », c’est-à-dire si tu es une femme tu ne dois pas aller à la plage couverte.

Ces deux invectives, car c’est bien de cela qu’il s’agit, masquent une problématique bien plus profonde qui est celle de la liberté de la femme de se voiler ou non, et donc par là-même du choix.

Si le voile peut être considéré comme un ornement, comme on peut le trouver dans des textes de Fadéla M’Rabet ou encore de Nahal Tajadod, il ne l’est plus du moment où il devient politisé.

Dans L’Algérie se dévoile, Franz Fanon explique que le voile, en tant qu’élément le plus perceptible de la société musulmane, est instrumentalisé par les colonisateurs. Voici des extraits permettant de comprendre son propos :

« Derrière le patriarcat visible, manifeste, on affirme l’existence, plus capitale, d’un matriarcat de base. »

« L’administration coloniale peut alors définir une doctrine politique précise: «Si nous voulons frapper la société algérienne dans sa contexture, dans ses facultés de résistance, il nous faut d’abord conquérir les femmes ; il faut que nous allions les chercher derrière le voile où elles se dissimulent et dans les maisons où l’homme les cache. »

« L’administration dominante veut défendre solennellement la femme humiliée, mise à l’écart, cloîtrée…  » Il se dessine un « sois un homme » qui implique l’inverse du hashtag actuel: « Les hommes algériens, pour leur part, font l’objet des critiques de leurs camarades européens ou plus officiellement de leurs patrons. Il n’est pas un travailleur européen qui, dans le cadre des relations interpersonnelles du chantier, de l’atelier ou du bureau, ne soit amené à poser à l’Algérien les questions rituelles: «Ta femme est-elle voilée ? Pourquoi ne te décides-tu pas à vivre à l’européenne? Pourquoi ne pas emmener ta femme au cinéma, au match, au café ? » »

Dans la même logique que celle invoquée par ceux contre qui Fanon s’insurge, pour certains la liberté de se voiler n’en est pas une car elle impose des contraintes incompatibles avec son concept même, ce qui fait écho à la notion   » des esclaves volontaires  » de Montaigne. Dans l’article du Monde du 3 juillet 2017 intitulé  Wassaly Tamzali  » L’homme arabe est un homme humilié »,  Jean Birbaum interroge l’ancienne directrice des droits de femmes à l’Unesco. Celle-ci mentionne la philosophe Geneviève Fraisse qui a mis en perspective la notion de consentement et celle de choix et confie :  » Quand une femme dit que c’est son choix de porter le voile, cela veut dire qu’elle consent à un certain nombre de normes contraignantes, et dès lors il ne peut s’agir de liberté. «   Elle rajoute :  » Dans une logique patriarcale et/ou islamiste, et/ou décoloniale, et/ou postcoloniale, consentir, c’est accepter et plus encore de participer librement à un modèle ».

Si l’on traduit sa pensée, on en conclut que choisir de porter le voile n’est non seulement pas un choix libre mais, qui plus est, un consentement à renforcer un système de domination masculine.  De ce fait, il n’y a plus de choix possible puisque choisir de le porter est un non choix.

Ainsi le voile, en tant qu’élément le plus perceptible de l’identité de la société musulmane, est un enjeu majeur et peut être instrumentalisé à des causes qui peuvent dépasser celles qui le portent.

Si en surface, l’on ne peut qu’adhérer  à  » sois une femme », venu  en réaction à  » sois un homme »,  peut-on occulter l’Histoire du voile ?

Il faut rappeler qu’il existe plusieurs sortes de voiles et qu’il s’inscrit différemment dans le rapport au monde de chaque femme ou homme. Ce qui peut s’avérer grave, c’est que les femmes qui portent le voile sont d’emblée considérées comme dominées par ceux pour qui le voile est synonyme de soumission.    

J’ai vu il y a peu sur une plage de Tanger, une femme voilée qui jouait au football avec deux hommes. Elle riait à tue-tête et ils l’incluaient en égal dans le jeu.

L’été dernier, sur une plage du bassin d’Arcachon, j’ai été frappée par l’attitude machiste d’un groupe d’hommes en pleine partie de volley-ball, n’ayant aucun égard pour leurs femmes, seins nus, les applaudissant à chaque action.

Et si l’important n’était pas la tenue, aussi symbolique soit-elle, mais l’attitude des uns vis à vis des autres ?

Et avant d’être homme, d’être une femme, ne faut-il pas d’abord être soi-même et respecter l’autre dans sa différence en essayant de le comprendre dans toute sa complexité?

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