Ils sont chercheurs, écrivains, sociologues, acteurs, politologues, anciens ministres.. Ils sont Marocains et ont décidé de lancer une pétition pour dénoncer ce qu’ils considèrent être une discrimination à l’encontre des femmes en matière d’héritage au Maroc.
Après la démission de Asma Lamrabet de son poste de Directrice du Centre des études féminines en islam pour avoir défendu l’égalité homme-femme dans l’héritage, ce sujet épineux qui fait également polémique en Tunisie, revient en force au devant de la scène.
Loin de s’apaiser, les esprits s’enflamment. Mercredi, une pétition a été lancée pour poursuivre ce combat féministe.
Parmi les signataires, Asma Lamrabet elle-même et à ses côtés, l’écrivaine Leila Slimani, l’islamologue Rachid Benzine ou encore l’actrice Latefa Ahrrare.
Les signataires appellent à l’abrogation de la règle successorale « injuste » du « ta’sib« , qui pénalise les femmes.
« Les orphelines qui n’ont pas de frère doivent obligatoirement partager l’héritage avec les parents mâles les plus proches du défunt (…) même inconnus et n’ayant jamais eu de liens avec la famille« , dénoncent les signataires de cette pétition.
Mais aujourd’hui, « la famille marocaine est le plus souvent réduite aux parents et leurs enfants (…), la règle du ta’sib devient donc injuste« , ajoute le texte.
A noter que les quinze premiers signataires sont également les auteurs de l’ouvrage « L’héritage des femmes » publié récemment.
La pétition est ouverte à d’autres signatures sur la plateforme avaaz.org, en français et en arabe.
Découvrez ci-dessous le texte dans son intégralité:
Selon le droit successoral marocain (Code de la Famille de 2004), les hommes sont des héritiers universels pouvant disposer de tout l’héritage de leurs parents, tandis que les femmes héritent de parts fixes (fardh), et ne peuvent pas recueillir la totalité de cet héritage lorsqu’elles sont les seules héritières. De plus, elles ne peuvent hériter de leur quote-part sans la participation d’au moins un parent mâle au partage de l’héritage.
Ainsi, au Maroc, les orphelines qui n’ont pas de frère doivent obligatoirement partager l’héritage avec les parents mâles les plus proches du défunt (exemples : oncles, cousins, etc.) ou, à défaut, des parents mâles éloignés — même inconnus et n’ayant jamais eu de liens avec la famille. Cette condition est une règle de droit dénommée ta’sib bi-nafs, qui prévoit exclusivement comme héritiers ‘asaba (par eux-mêmes), des parents de sexe masculin, dont la parenté avec le défunt doit venir uniquement par les mâles.
L’héritage par ta’sib pouvait être justifié historiquement : dans le système tribal de l’époque où il avait été établi, les hommes non seulement prenaient en charge leurs femmes et leurs proches vulnérables, mais ils supportaient aussi, à eux seuls, la responsabilité de défendre le clan et de s’en porter garants, allant parfois jusqu’à payer des dommages et intérêts pour réparer les préjudices éventuellement commis par ses membres (‘asabiyya).
Or cette organisation sociétale n’est absolument plus la nôtre aujourd’hui. La famille marocaine est le plus souvent réduite aux parents et leurs enfants. Les filles accèdent de plus en plus nombreuses à l’éducation puis au monde du travail (formel et informel), contribuant de façon notable à l’économie du pays. Les femmes participent souvent à la prise en charge des besoins de leur famille d’origine dont elles sont parfois l’unique soutien. Mariées, elles sont nombreuses à assister financièrement leur époux, prenant le relai lorsque celui-ci est incapable d’assumer les frais du ménage. Enfin, le nombre de femmes livrées à elles-mêmes, célibataires, divorcées ou veuves, avec ou sans enfants, a nettement augmenté (d’après les chiffres du Haut Commissariat au Plan, environ 1 famille marocaine sur 5 est prise en charge par une femme).
Dans le contexte social actuel, la règle du ta’sib devient donc injuste : les oncles ne prennent pas en charge leurs nièces, ni les cousins leurs cousines, ni les hommes, de façon générale, ne s’occupent des parentes éloignées de leur famille, même si celles-ci sont seules et démunies. Dès lors, comment justifier que des proches ou lointains parents d’une personne décédée sans laisser de fils viennent partager l’héritage avec les orphelines sans assumer, en aucune façon, de responsabilité ni matérielle ni morale à leur égard ? En effet, si la loi leur donne des droits sur un patrimoine auquel ils n’ont pas participé, elle ne les oblige pas à soutenir et protéger cette famille qu’ils viennent, au contraire, appauvrir voire exposer à la précarité.
Que de violences sont alors subies durant les périodes de deuil et de douleur — parfois avant même que l’enterrement ait eu lieu — lorsque les héritiers ‘asaba exigent leur part des biens, des meubles, des souvenirs, ou qu’ils forcent les femmes endeuillées à vendre la demeure familiale, afin qu’ils puissent récupérer “leur dû”, se réclamant de la loi et du “chra’ ” !
C’est ainsi qu’un nombre croissant de parents qui n’ont pas de fils (situation fréquente puisqu’en moyenne, les familles marocaines n’ont plus que 2 à 3 enfants) n’acceptent pas que leurs collatéraux ou ascendants héritent de leurs biens au détriment de leurs enfants de sexe féminin. Comme la loi ne leur permet pas de léguer leurs biens à leurs héritiers par voie testamentaire, ils sont acculés, pour mettre leurs filles à l’abri, à recourir à divers contournements sous forme de donations ou de ventes fictives.
Pourquoi maintenir une règle qui non seulement n’a plus de justificatif social mais qui, de plus, relève d’une jurisprudence (Fiqh) et n’a aucun fondement coranique ? Bien au contraire, dans le contexte d’aujourd’hui, le ta’sib va à l’encontre des principes de justice du Coran (‘adl) et non dans le sens de ses finalités (maqasid).
Pour ces diverses considérations, nous soussignés, appelons à l’abrogation de la règle successorale du ta’sib, comme, par ailleurs, l’ont fait d’autres pays musulmans.
Découvrez les signataires, par ordre alphabétique:
– Aït Idder Mohamed Bensaïd, ancien résistant, membre de l’armée de libération nationale
– Ait Mous Fadma, sociologue, professeur universitaire
– Akalay Aïcha, journaliste
– Alaoui Idriss, professeur de médecine, militant associatif
– Alaoui Moulay Ismail, ancien ministre, professeur universitaire émérite
– Alaoui Oumhani, anthropologue
– Assimi Malika, poétesse
– Bayad Tayeb, historien, professeur universitaire
– Belyazid Farida, cinéaste
– Benabdellaoui Mokhtar, professeur universitaire
– Bencheikh Mustapha, professeur universitaire
– Benchekroun Siham, médecin et écrivain
– Benjelloun Laroui Latifa, bibliologue
– Benmoussa Mohamed, économiste, acteur politique et associatif
– Benradi Malika, juriste, professeure universitaire émérite
– Benzine Rachid, islamologue, chercheur
– Berriane Yasmine, sociologue
– Bouasria Leila, sociologue, professeur universitaire
– Bouyahyaoui Fatima, professeur universitaire
– Chakir Bouchra, professeur universitaire
– Charai Ahmed, directeur de publication
– Charkaoui Nadia, chercheure en sciences des religions et dans les questions féminines en islam
– Chaui Abdelkader, écrivain
– Chekrouni Nouzha, ancien ambassadeur
– Cherkaoui Rym, enseignante chercheure en droit
– Daoudi Fatiha, juriste et politiste
– Debbagh Amina, professeur universitaire
– Dilami Abdelmounaim, PDG d’un groupe de presse
– Dinia Hayat, professeur universitaire, présidente d’association
– El Achaari Mohamed, poète, écrivain
– El Ahrrare Latefa, actrice, metteur en scène
– El Amine Fichtali Abdellah, avocat
– El Anjari Benlazrek Mohamed, chercheur en études islamiques
– El Kesri Jamal, professeur universitaire
– El Kindi Omar, militant associatif
– El Ouadie Salah, poète, militant associatif
– Elaji Sanaa, journaliste et chercheure en sociologie
– Elhorr Zhour, avocate, présidente d’association
– Elmaazouz Mohamed, chercheur, académicien
– Ennaji Moha, professeur universitaire, auteur
– Farah Naima, présidente d’association, acteur politique
– Fassi Fihri Hakima, juriste
– Filali Ansary Abdou, professeur universitaire
– Hadi Sofia, actrice
– Hajjami Aïcha, universitaire, chercheure
– Hatimi Abdeltif, avocat
– Himmich Hakima, professeur de médecine, militante associative
– Houdaifa Hicham, journaliste et éditeur
– Ikij Mohamed, enseignant chercheur en droit de la famille
– Iraqi Rhita, professeur universitaire
– Iraqui Zakia, professeur universitaire
– Jabroune Mhamed, professeur universitaire, chercheur en histoire et pensée islamiques
– Jamai Khalid, journaliste
– Janjar Sghir Mohamed, anthropologue, directeur de revue
– Jbabdi Latefa, militante associative
– Jmahri Abdelhamid, poète
– Kellam Youssef, chercheur en pensée islamique et en religions comparées
– Khalid Amina, militante des droits humains
– Khalil Jamal, sociologue
– Khrouz Driss, professeur universitaire
– Ksikes Driss, écrivain
– Lahbabi Jihane, avocate
– Lahlou Nabyl, homme de théâtre et de cinéma
– Lamrabet Asma, médecin et essayiste
– Laouina Imane, militante des droits de l’homme
– Lmouatassime Mostafa, professeur universitaire, acteur politique
– Louardi El Houssaine, professeur universitaire, ancien ministre
– Meziane Belfqih Naïma, docteur en droit public
– Mouaqit Mohamed, politiste
– Moufid Khadija, Directrice du centre d’études sur la famille et la recherche sur les valeurs et les lois
– Moukrim Maria, journaliste, directrice d’un site électronique
– Mouna Khalid, anthropologue, professeur universitaire
– Mourji Fouzi, professeur universitaire
– Mrini Zakia, présidente d’association
– Msefer Fouzia, professeur de médecine, militante associative
– Naamane Guessous Soumaya, sociologue, professeur universitaire
– Nadifi Rajaa, professeure chercheure
– Nesh-Nash Mohamed, ancien président de l’organisation marocaine des droits de l’homme
– Othmani Meriem, militante associative
– Ouazzani Touhami Samira, médecin
– Radi Saadia, anthropologue
– Rafiki Abdelouahab, théologien, chercheur
– Rhani Zakaria, anthropologue et biologiste
– Rhmani Jamal, consultant en droit social, ancien ministre
– Rhou Aljarrari Al Hassan, juriste, professeur de l’enseignement supérieur
– Rifai Amina, médecin, ex-présidente du syndicat national des médecins du secteur libéral
– Ryadi Khadija, lauréate du prix de l’ONU pour les droits de l’Homme
– Saadi Mohammed Said, économiste et ancien ministre
– Sabbar Khadija, universitaire, chercheuse en philosophie et histoire
– Sadiqi Fatima, professeur de linguistique et études de genre
– Sassi Mohamed, enseignant chercheur
– Sedjari Ali, professeur universitaire, ancien titulaire de la Chaire UNESCO des droits de l’Homme
– Sefrioui Kenza, journaliste et éditrice
– Slimani Leila, écrivaine
– Soulaymani Rachida, professeur de médecine, directrice au ministère de la santé
– Taarji Hinde, journaliste
– Touil Abdeslam, professeur de droit constitutionnel et sciences politiques, directeur de publication
– Tourabi Abdellah, journaliste
– Tozy Mohammed, enseignant universitaire
– Yafout Merieme, politologue et sociologue
– Yassine Adnane, poète, journaliste
– Zniber Jamal, pharmacien