C’était le baiser de trop ? Deux heures du matin, à la sortie d’une boîte de nuit de Gammarth, ville située au nord-est de Tunis. Un homme, Nessim Ouadi, 33 ans, cadre d’une société agroalimentaire de Marseille et une Tunisienne, âgée de 44 ans, discutent tranquillement dans une voiture. Jamais ils n’auraient imaginé que cette sympathique soirée allait virer au cauchemar.
Nessim Ouadi, trentenaire Franco-Algérien avait « pris quelques jours de congés pour aller rejoindre des amis en Tunisie et faire la fête » déclare sa mère, Leila Haouala, au journal français Dauphiné.
A son arrivée à Tunis le 29 septembre, l’homme se rend directement au Yüka, célèbre bar de la ville de Gammarth. Il y retrouve son amie Tunisienne avec laquelle ils vont boire quelques bières (deux pour lui et un verre et demi pour elle). Alors que la jeune femme propose à son ami de le raccompagner en voiture, ils s’arrêtent quelques minutes sur le bas-côté de la route afin de discuter. « Au bout de deux minutes, une voiture de police arrive. Les flics leur demandent leurs pièces d’identité. Elle prend son sac. Elle remet sa carte d’identité. Le Franco-Algérien ne parle pas un mot d’arabe. Son passeport est dans sa valise dans le coffre arrière. Les policiers lui crient dessus, l’insultent et le font descendre de force. Il leur remet son passeport. Ils fouillent ses bagages puis la voiture, partout, même en dessous des tapis » explique Me Ghazi Mrabet, avocat de Nessim Ouadi, dans un post publié sur son compte Facebook jeudi 5 octobre.
Les deux amis sont ensuite conduits au commissariat de police. Au bout de vingt minutes, un des policiers leur annonce qu’ils peuvent rentrer chez eux. Seulement, l’histoire ne s’arrête pas là…
Le Franco-Algérien est très remonté contre la manière dont les policiers les ont traités. Refusant de se laisser faire, il exige les noms et immatriculations des policiers. « J’ai l’intention d’en parler à mon ambassade » déclare le trentenaire. Seulement voilà, Nessim Ouadi a oublié qu’il n’était pas en France… Et c’est là que les vrais problèmes commencent !
Les policiers rédigent un PV et obligent les deux amis à le signer, sans comprendre réellement de quoi il s’agit, Nessim ne parlant pas arabe. Ils sont ensuite emmenés en prison avant de comparaître dimanche 1er octobre devant un substitut du procureur. Ce n’est qu’à ce moment-là que les deux amis apprennent ce qui leur est reproché. Verdict ? Les charges retenues contre eux sont : « atteinte à la pudeur, atteinte aux bonnes mœurs, ébriété sur la voie public, tapage, refus de se conformer à un ordre et outrage à un fonctionnaire public pendant l’exercice de ses fonctions » explique Me Ghazi Mrabet.
Chacun nie les faits. Ils ne reconnaissent que d’avoir bu une petite quantité de bière. Et il n’est question d’aucun « acte sexuel » comme l’évoque le ministère de l’Intérieur, les deux amis assurent qu’ils ne faisaient que discuter.
L’avocat de Nessim présente alors le verdict : « Après délibération, la juge les condamna à de la prison ferme. Deux mois chacun pour atteinte à la pudeur et 15 jours pour refus d’obtempérer à un ordre. 15 jours pour la Tunisienne pour état d’ébriété, 2 mois pour le Franco-Algérien pour outrage à un fonctionnaire public et atteinte aux bonnes mœurs. Soit au total 3 mois fermes pour elle, 4 mois et demi pour lui ». Une aberration pour Ghazi Mrabet qui dénonce « une affaire montée de toutes pièces » et liste tous les vices de procédures : absence d’un avocat lors de la signature du PV, absence d’un traducteur pour Nessim, absence d’un test d’alcoolémie, absence de preuves concrètes, seule la version des policiers apparaît dans le dossier etc.
Les deux personnes étaient réellement en train de s’embrasser (ou plus) dans la voiture comme l’affirment les policiers ? La mère de Nessim, Leila Haouala parle peut-être de « simples baisers » au journal français La Provence. Les Tunisiens, qui se sont emparés de l’histoire, l’ont déjà rebaptisée « l’affaire du bisou ».
Pour protester contre cette décision, de nombreux internautes réagissent sur les réseaux sociaux tunisiens à l’instar du député Raouf El-May qui a publié sur Facebook le 6 octobre dernier une photo de lui embrassant son épouse avec la légende : « Dans quel commissariat me rendre pour subir ma peine de prison ? ». Un procédé utilisé également par l’ancien ministre des Technologies de l’Information et de la Communication, Noomane Fehri, qui s’est lui aussi montré en train d’embrasser sa femme.
Une mobilisation civile semble alors se mettre en place. Comme l’explique Ghazi Mrabet, « Ce qui arrive aux autres n’arrive pas qu’aux autres. Nous sommes les autres de demain ». Il faut alors lutter et se battre contre ce système « où la police confortée par une mentalité de plus en plus conservatrice rejette la construction démocratique et le progrès ». Cette histoire n’est pas sans rappeler une autre affaire du bisou, qui s’était déroulée au Maroc en 2013 et qui avait fait le tour du monde.