Selon une enquête de l’Association marocaine de planification familiale (AMPF) publiée en 2016, soit quelque 50.000 à 80.000 cas d’avortements clandestins ont lieu chaque année, soit une moyenne de 200 avortements par jour. Toujours selon cette l’étude, ces avortements seraient responsables d’environ 4,2% des cas de décès maternels et de 5,5% de décès suite aux complications post-accouchement.
Ces avortements illégaux ne sont pas sans conséquence. En 2016, un projet de loi élargissant le droit à l’avortement en cas de viol, d’inceste de handicap mental ou de malformation très grave du fœtus avait été adopté par le gouvernement. Mais depuis, silence radio. Le texte aurait dû être approuvé vers le Parlement, puis la Deuxième Chambre pour être définitivement adopté et appliqué, mais il semble avoir disparu du circuit. Absence de volonté politique ou simple retard dans la procédure d’adoption ? Le professeur Chafik Chraibi, fondateur de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin, tente de nous éclairer. Alors qu’il était à la tête d’une maternité à Rabat, le médecin a été démis de ses fonctions de chef de service après avoir témoigné dans un reportage sur le drame des interruptions volontaires de grossesse (IVG) clandestines au Maroc, diffusé en décembre 2014 sur France 2. Rencontre avec cet homme qui défend corps et âme le droit d’avortement de la femme marocaine.
Plurielle: Pouvez-vous nous parler des conditions dans lesquelles les femmes marocaines se font avorter ?
Dr Chafik Chraibi: Dernièrement, j’ai remarqué que les choses se sont endurcies véritablement. Avant, l’avortement se pratiquait assez facilement, mais depuis que le débat autour de cette pratique a été ouvert, de plus en plus de médecins sont arrêtés et emprisonnés. Résultat : les médecins commencent à avoir peur et ne pratiquent plus d’avortement, ce qui a pour conséquence de voir les femmes revenir à l’avortement traditionnel comme les aiguilles à tricoter, la prise de comprimés, d’herbes médicinales… Ces méthodes sont très dangereuses. Certaines vont jusqu’à percer la poche des eaux quand elles sont à un stade avancé de la grossesse et même des tentatives de suicide quand elles ne savent plus quoi faire.
Pouvez-vous nous parler de la difficile situation des mères célibataires au Maroc ?
La majorité des mères célibataires le sont par dépit. Récemment, une jeune femme qui ne savait qu’elle était enceinte s’est présentée à moi. Elle avait ses règles, mais elle a remarqué que son ventre avait grandi. Quand elle est allée chez le médecin, il s’est avéré qu’elle était à 21 semaines de grossesse. Elle n’a plus que deux possibilités : soit mettre sa vie en danger en perçant la poche des eaux, soit attendre d’accoucher, mais par la suite elle allait abandonner son enfant.
Quelles sont les répercussions sur les enfants nés de mère célibataire ?
On sait que la majorité des enfants nés d’une mère célibataire ont plus de chance de mourir jeunes parce qu’ils tombent très souvent dans la délinquance et l’addiction à la drogue. Ils peuvent éventuellement devenir un danger pour eux-mêmes et pour la société. Ils portent en eux une haine, car ils ont été abandonnés. Il a aussi été démontré que 90% des enfants abandonnés n’arrivent pas à retrouver une vie stable avec du travail.