Gaza n’est pas qu’un territoire occupé, Gaza c’est également une ville où des jeunes grandissent et s’épanouissent. Deux jeunes Palestiniennes souhaitent montrer la face cachée d’une bande de Gaza grâce à leurs photos sur le réseau social Instagram.
« Je considère Instagram comme une fenêtre », explique Kholoud Nassar, 26 ans et revêtue d’un hijab rose, tout en tripotant une voiture miniature qui figure sur nombre de ses photos.
Fatma Mosabah, 21 ans, estime elle aussi qu’en s’ouvrant sur internet elle peut « parler à des gens dans le monde entier ».
Chacune a plus de 100.000 « followers » (abonnés, ndlr), ce qui leur vaut d’être souvent reconnues dans les rues de Gaza.
Deux millions de Palestiniens vivent confinés dans la bande de Gaza, une enclave bordée par la Méditerranée à l’ouest, soumise au blocus israélien à l’est et au nord, et à la fermeture quasi-permanente de la frontière égyptienne au sud. Trois guerres depuis 2008 ont dévasté le territoire. A la destruction, la pauvreté et le marasme économique s’ajoute l’enfermement.
Israël, qui cherche à contenir le mouvement islamiste Hamas, son ennemi au pouvoir à Gaza, ne délivre qu’au compte-gouttes les permis de sortie. Quand l’Egypte ouvre, épisodiquement, sa frontière, le passage est aléatoire et on ne sait jamais vraiment quand on rentrera.
Aucune des deux jeunes femmes n’a quitté l’enclave depuis plus d’une décennie.
Le beau côté des choses
Mais avec Instagram, application et service de partage de photos et de vidéos, elles peuvent donner à voir une réalité différente, alors que le monde extérieur ne peut qu’imaginer la vie des Gazaouis.
« La guerre fait partie de Gaza, mais Gaza ne se résume pas à cela », dit à l’AFP Kholoud Nassar dans un café proche de la plage. « Prenez l’Amérique: il y a de la pauvreté, des maisons détruites, mais aussi de beaux endroits. Pour Gaza, c’est pareil ».
« A travers ces photos, je veux montrer Gaza, comment on y vit, on y mange, on y travaille », dit Kholoud.
Les deux femmes, tout sourire, apparaissent souvent sur leurs photos.
Fatma Mosabah entend « changer la perception de Gaza » et ne pas se polariser sur la politique. « Montrer le beau côté des choses, c’est le plus important. »
La tâche n’est pas aisée. Tensions géopolitiques et situation économique très difficile, surpeuplement avec des conséquences sociales et sanitaires… la bande de Gaza peut déjà être considérée comme « invivable », disait en juillet un responsable de l’ONU. Les habitants ne disposent que de quelques heures d’électricité par jour. L’eau potable est rare à Gaza.
De nombreux habitants cherchent à s’évader par les réseaux sociaux. Ali Bkheet, président du « Palestinian Social Media Club », estime qu’environ la moitié des Gazaouis utilisent Facebook. Les audiences d’Instagram et Twitter sont moindres.
Tentatives réelles de vivre
Kholoud Nassar a commencé à être active sur les réseaux sociaux avant la guerre de 2014. Elle en a restitué le lourd tribut humain. Depuis, elle essaie de rendre compte du combat quotidien des Gazaouis contre l’adversité.
La jeune femme a popularisé un hashtag en arabe qui signifie « Tentatives réelles de vivre ». La petite voiture qu’elle trimbale tout le temps dans son sac –une vieille Coccinelle– est devenue sa marque de fabrique. En écho, des internautes dans tout le monde arabe lui envoient des photos de voitures Coccinelles grandeur nature, visibles sur sa page Instagram.
Pour Fatma Mosabah, le succès aidant, Instagram est devenu une source de revenus: 300 à 400 dollars (250 à 330 euros) par mois grâce à la publicité. Une somme non négligeable quand 60% des jeunes à Gaza sont au chômage et que le salaire mensuel n’est en moyenne que de quelques centaines de dollars.
Sheldon Himelfarb, chef de PeaceTech Lab, une organisation à but non-lucratif promouvant la paix par les technologies et les médias, affirme que les réseaux sociaux peuvent rapprocher les gens à travers le monde.
Mais les chercheurs tentent encore d’évaluer si le caractère sélectif de ce qui est publié aide ou entrave une perception plus complète des réalités, prévient-il.
« J’ai constaté lors de mes conversations avec des étudiants qu’ils pensent être plus conscients que leurs parents de ce qui se passe dans certaines parties du monde. Mais est-ce qu’ils sont mieux informés? Je ne sais pas », admet-il.
Trolls
Kholoud Nassar et Fatma Mosabah pratiquent une sélection, prenant des dizaines de photos avant de choisir lesquelles montrer.
Elles ne sont pas l’abri des « trolls » qui sévissent sur les réseaux sociaux. Fatma Mosabah dit bloquer chaque jour entre 5 et 20 auteurs de commentaires inappropriés.
« Il m’arrive de faire une photo avec quelqu’un, mais certains me disent que c’est honteux car il s’agissait d’un homme. Je bloque beaucoup », s’exclame-t-elle en riant.
Kholoud Nassar s’est fait crier dessus par une femme alors qu’elle prenait des photos à Beit Lahia, une des zones les plus conservatrices d’un territoire fortement empreint de religion et de tradition.
« Certains personnes me critiquent en disant que je ferais mieux d’aller faire la cuisine (…) plutôt que de sortir faire des photos », raconte-t-elle.