Libération de la parole des femmes, recrudescence des mouvements féministes, inégalités toujours notables en termes de droits, sexisme, discriminations… Être une femme en 2019 n’est pas chose aisée. Décryptage.
Droits des femmes au Maroc: où en sommes-nous?
Libération de la parole des femmes, recrudescence des mouvements féministes, inégalités toujours notables en termes de droits, sexisme, discriminations… Être une femme en 2019 n’est pas chose aisée. Décryptage.
Le mois dernier, plus précisément le 8 mars, nous célébrions, comme chaque année, la journée internationale de la lutte pour les droits des femmes. Une journée instaurée en 1911, symbolisant le combat pour l’égalité des droits entre les deux sexes et qui a aujourd’hui pour objectif de faire le point sur la place des femmes dans la société, sur les avancées et sur ce qu’il reste à faire. Pourtant, au fil des ans, cette célébration revendicatrice a peu à peu été réduite à une simple « Journée de la femme » markétisée où salons de coiffure, salles de sport, restaurants et autres grandes enseignes proposent à la gent féminine des réductions et des offres diverses pour leur faire plaisir, et mettre en avant leur réussite, leur force et leur rôle dans la société. Or, cette évolution nous fait perdre de vue les enjeux importants, ceux pour lesquels cette journée a été créée. Une date qui nous met sur un piédestal et qui nous couvre de fleurs, de chocolats et de mots gentils, peut être pour nous faire oublier que le reste de l’année, les chiffres ne sont pas à la fête. Violences conjugales, harcèlement, salaires, taxe rose, accès à la contraception, droit à l’avortement… Au Maroc comme ailleurs, les inégalités subies par les femmes sont encore –bien trop- nombreuses.
Aux origines du féminisme
Si les discours et actions féministes font aujourd’hui partie du quotidien, la lutte pour l’égalité des sexes ne date pas d’hier. Dès la fin du Moyen Âge, des auteurs critiquent la place accordée aux femmes dans la société. Mais le mot « féminisme » n’aurait été inventé que vers 1870 par le monde médical pour désigner les sujets masculins dont le développement de la virilité s’est arrêté. L’auteur Alexandre Dumas fils utilise ce terme dans L’Homme-femme en 1872 : « Les féministes, passez-moi ce néologisme, disent : Tout le mal vient de ce qu’on ne veut pas reconnaître que la femme est l’égale de l’homme, qu’il faut lui donner la même éducation et les mêmes droits qu’à l’homme ».
Un mot permet alors de désigner cette lutte entreprise par les femmes depuis plusieurs années maintenant. En effet, l’idée que les femmes puissent se libérer de l’emprise patriarcale et être traitées comme étant égales aux hommes est apparue pendant le siècle des Lumières, dans les années 1700. Alors que les femmes ont joué un rôle important durant la Révolution française, elles n’obtiennent aucun droit particulier dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Plusieurs d’entre elles continuent alors à investir l’espace public afin de faire entendre leurs voix comme Olympe de Gouges qui publie en 1791 la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.
La révolution de 1848 est aussi marquée par des figures emblématiques comme Eugénie Niboyet, créatrice de la Voix des femmes ou Désirée Gay, auteure de La Politique des femmes. Différentes actions qui ont permis de faire bouger les choses, notamment l’accès au travail et à l’éducation, au même titre que les hommes. Ainsi, tout autour du globe, de nombreuses femmes prennent la parole pour faire entendre leurs revendications et leur désir d’égalité. Une lutte mise en avant le 28 février 1909, sous l’impulsion du Parti socialiste d’Amérique lorsque la première Journée nationale des femmes est célébrée sur tout le territoire américain, en hommage à la grève des travailleurs du textile à New York en 1908 où les femmes protestèrent contre leurs conditions de travail. Mais c’est à Clara Zetkin que nous devons l’instauration de cette journée au niveau international. Cette enseignante allemande a proposé en 1910 à l’Internationale socialiste d’adopter une « journée internationale des femmes », proposition approuvée à l’unanimité. La première Journée internationale des femmes est finalement célébrée le 19 mars 1911, avec comme principales revendications le droit de vote, le droit au travail et la fin des discriminations au travail. Plus d’un million de personnes participent à des rassemblements et manifestations dans plusieurs pays européens dont l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse et le Danemark.
La date du 8 mars n’a quant à elle été officialisée par l’ONU qu’en 1977. Cette tradition tire son origine de la Russie, après qu’une marche de femmes et d’ouvrières en grève se soit organisée à Petrograd (actuel Saint-Pétersbourg) le 8 mars 1917 pour réclamer « le pain et la paix » et contester la hausse des prix des denrées de première nécessité. Un événement qui s’inscrit avec le début de la révolution russe et qui a permis d’accorder le droit de vote aux femmes quelques jours après. Depuis 1977, tous les pays du monde célèbrent alors la lutte des femmes pour l’obtention de la parité. Dans plusieurs pays, cette journée a même été fériérisée comme en Russie, au Brésil, en Italie, au Kazakhstan ou encore au Chili.
La voix des femmes
Le combat pour l’égalité des sexes existe depuis très longtemps. Mais ces dernières années, nous assistons à une véritable libération de la parole des femmes. Trop peu souvent écoutées et encore moins entendues, ces dernières ont beau demander à faire valoir leurs droits et se battre, elles se retrouvent sans cesse muselées ou décrédibilisées. La parole des femmes n’a en effet pas autant de poids que celle d’un homme face à une accusation ou une revendication et est sans cesse remise en cause. Mais en 2017, après la révélation de l’affaire Weinstein, plusieurs centaines de femmes, victimes de harcèlement ou d’agressions sexuelles tout autour du globe sont sorties du silence en utilisant les hashtags #MeToo, #BalanceTonPorc ou encore #Masaktach.
Longtemps honteuses de ce qui leur était arrivé, par peur des représailles ou d’être discréditées, célébrités et anonymes osent enfin raconter leur histoire, dans l’espoir d’inciter d’autres femmes à en faire autant et de punir les hommes qui abusent de leur pouvoir et de leur statut pour les agresser et abuser d’elles. Au Maroc aussi, le phénomène prend de l’ampleur. Une grande avancée pour ce pays où les relations hors mariage ne sont pas reconnues. Comment alors assumer le fait d’avoir été violée ? Beaucoup ont en effet des idées reçues encore très fermées et condamnent souvent les victimes plus que les criminels en décrédibilisant les témoignages des jeunes femmes. Mais grâce aux réseaux sociaux, chaque histoire prend aujourd’hui de l’ampleur et permet de mobiliser l’opinion publique.
Plus que jamais, les femmes descendent dans les rues, organisent des marches et mettent en place des mouvements afin de protester pour l’égalité des sexes, l’obtention de droits au même titre que les hommes, la réappropriation de l’espace public sans craindre de se faire harceler à chaque coin de rue, la liberté de se vêtir comme bon leur semble… Ainsi, en novembre 2018, le collectif Masaktach (« Je ne me tairai pas ») a invité les femmes à investir les espaces publics et les bus armées de sifflets afin d’alerter les personnes aux alentours au cas où un homme tente de les agresser.
Plus récemment, c’est Loubna Ben Salah, une jeune globe-trotter engagée pour la cause féminine qui a lancé le projet Kayna. S’intéressant à trois volets différents, Kayna appelle les femmes à revendiquer leur place dans l’espace public en prenant part à des marches de 14 km, suivies de 30 minutes de yoga, d’un débat et d’un workshop où l’on explique aux participantes leurs droits et les procédures à engager en cas de harcèlement ou autre discrimination.
Ce projet souhaite aussi apporter un intérêt tout particulier aux générations futures en initiant les enfants au sein des écoles aux valeurs d’égalité des genres et au développement durable. Enfin, Kayna s’intéresse à la société civile et tente d’autonomiser les femmes et jeunes filles pour les intégrer dans le travail associatif. Ainsi, grâce à l’engagement de nombreuses féministes, leurs revendications se font entendre et les choses évoluent petit à petit. Preuve en est avec l’entrée en vigueur en septembre 2018 de la loi 103.13 qui protège les femmes dans l’espace public, les mineures des mariages forcés et condamne tout acte de violence envers les femmes.
Ce qu’il reste à faire
Ainsi, que ce soit en Europe, aux États-Unis ou en Afrique, les combats des femmes sont les mêmes. Grâce à leur implication, leur force de caractère et leur lutte sans failles, des petites victoires apparaissent et permettent d’améliorer certains aspects du quotidien de la gent féminine. Cependant, le chemin est encore long et le combat, loin d’être gagné. Au Maroc, si la Constitution de 2011 proclame l’égalité et la parité, les discriminations envers les femmes persistent toujours et cela, tout au long de leur vie.
Au travail par exemple, seules 24% des femmes sont considérées comme actives, un taux en régression puisqu’il était de 30% en 1999. Dans le cas où elles travaillent, elles gagnent 17% de moins que les hommes, à poste et niveau d’études égaux. Aussi, ces dernières sont plus susceptibles d’être touchées par le chômage et l’analphabétisme. Le taux moyen de chômage s’élève à 22,8% pour les femmes contre 14,9% pour les hommes et l’analphabétisme culmine à 41,9% contre 22,1% parmi les hommes. L’héritage représente également l’un des volets les plus discriminatoires envers la femme et toutes les personnes qui tentent de faire évoluer cette question se retrouvent vite stoppées dans leur élan, preuve en est avec Asma Lamrabet, contrainte de démissionner de la Rabita Mohammedia des Oulémas il y a un an pour avoir défendu l’égalité homme-femme dans l’héritage.
En effet, au Maroc, le frère reçoit le double de la part de la sœur et le veuf reçoit le double de celle de la veuve. Aussi, quand les seuls descendants sont des hommes, ces derniers peuvent recevoir la totalité de la succession tandis que des femmes seules, non. Dans le cas où les filles du défunt n’ont pas de frères, d’autres parents tels que les cousins, les oncles, auront une part de l’héritage. Dès la naissance, les filles se trouvent donc lésées, de part leur sexe seulement. Au niveau du code de la famille subsiste également de nombreuses inégalités concernant les droits mutuels relatifs à la pension ou à la garde des enfants. Le droit à l’avortement constitue aussi l’un des principaux combats des Marocaines puisque ce dernier représente toujours une infraction pénale et n’est autorisé que si la santé d’une femme mariée en dépend et est conditionné par l’accord du mari.
En 2016, le droit à l’avortement a finalement été élargi aux femmes atteintes de troubles mentaux, victimes de viols ou d’incestes ou en cas de malformation fœtale, mais ne reconnaît toujours pas les grossesses non désirées. Enfin, ces dernières années, nous avons assisté à une recrudescence d’actes de violences à l’encontre des femmes. Une augmentation qui peut s’expliquer par cette mobilisation internationale, portée par le hashtag #MeToo, qui encourage les femmes à porter plainte et à faire part de leur histoire. Ainsi, en 2011, les chiffres partagés par le HCP faisaient état d’un taux de 62,8% de femmes âgées de 18 à 64 ans qui avaient été victimes de violence dont plus de la moitié de ces actes étaient perpétrés par l’époux de la victime. Si le nombre de femmes ayant subi des violences était de 15 297 en 2012, il atteint 16 690 en 2017.
À noter tout de même que ces chiffres sont encore loin de refléter la réalité. Beaucoup de victimes n’osant pas faire de déclaration. Autre problème soulevé ces dernières années, celui de la taxe rose. De nombreux produits et services mixtes tels que les rasoirs, les déodorants, les dentifrices, une coupe de cheveux ou une chemise déposée chez le pressing sont plus chers quand ils sont destinés aux femmes.
Souvent, la seule différence se trouve au niveau de la couleur du produit qui se teinte généralement de rose pour les femmes. Pourtant, les produits sont pareils, requièrent le même coût de production et n’ont aucune valeur ajoutée. Ce marketing genré qui segmente le marché entre filles et garçons véhicule tout d’abord des stéréotypes mais pousse également à la surconsommation. Une aberration pour les féministes du monde entier.
Bien des années après les premiers soulèvements féministes, les discriminations envers le sexe féminin sont encore nombreuses. La parité n’est toujours pas appliquée et les femmes ne sont toujours pas libres de faire leurs propres choix, de disposer de leur corps comme elles le souhaitent. Les mariages forcés et les mutilations génitales encore pratiquées dans certains pays prouvent que le retard de développement est colossal. Le combat est encore long et la victoire ne pourra être réelle que lorsque cette journée internationale de la lutte pour les droits des femmes n’existera plus. Mais ne sous-estimons pas le pouvoir des femmes…
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.