Cher Maroc,
J’espère que tu vas bien ou au moins mieux. J’ai appris ta maladie que tu traînes depuis plusieurs années et j’avoue m’inquiéter très sérieusement pour toi. Je sais que tu as peur du médecin et que tu n’aimes pas les médicaments parce qu’ils te donnent le tournis. Je ne le sais que trop bien. Mais il se trouve que tes symptômes nous affectent toutes et que ton entêtement à rester couché, les yeux fermés, le dos tourné et le visage face au mur du déni ne fait qu’aggraver ta situation. Je préfère te prévenir.
J’ai écouté, avec une grande attention, l’intervention télévisée de l’une de tes Ministres – que tu devrais peut-être remplacer parce qu’elle n’a pas l’air très consciente de l’urgence de ton cas même si elle prétend le contraire – sur les violences faites à tes femmes et je t’avoue que je suis restée perplexe. Moi qui pensais que le traitement était en sommeil depuis trois ans, j’ai appris qu’il est en état de mort cérébrale depuis une quinzaine d’années. Ça me donne la nausée. Ça me donne la nausée parce que ta guérison importe peu au final et que les symptômes, violents, qui te font tordre de douleur, s’accentuent tous les jours, dans une indifférence déconcertante, pour se propager jusque dans nos veines.
Tu sais, tu peux croire que je ne suis qu’une hypocondriaque en phase d’excitation et que tu n’es de ce fait que mon malade imaginaire, mais il n’en est rien. Cette maladie est réelle et nous sommes des millions à en souffrir à tes côtés. Nous sommes des millions de femmes qui subissons le harcèlement sexuel dans tes rues dans une attente interminable.
L’attente que tes toubibs se réveillent et votent enfin des lois pour nous protéger et pour punir les nombreux prédateurs qui attendent là, juste en bas de chez nous, dans les coins de nos rues, dans nos bus, dans nos trains, devant nos lieux de travail, devant les écoles de nos enfants, à côté des marchands de fruits et légumes, en face des boulangeries, dans nos quelques espaces verts (…). Bref, partout où on a l’audace de respirer en étant femmes.
Dans l’attente que tes médecins se mettent d’accord, sans nuance ni conditions sexistes et misogynes, se réveillent un beau, très beau matin et se disent « ça suffit, il est temps de soigner ce malade capricieux même par la force ». Dans l’attente que ce corps médical manifestement aussi malade prenne enfin ses responsabilités, vote ces lois pour qu’on puisse enfin circuler avec ne serait-ce que l’illusion qu’on t’importe et qu’un texte nous protège.
Oui, je sais que c’est difficile de prendre une décision aussi radicale et emprisonner ceux qui nous bouffent notre oxygène, notre espace et surtout notre dignité. Je sais que c’est compliqué parce que tu risquerais de te faire amputer d’une jambe tant ils sont nombreux.
Mais que veux-tu ! Quand cette jambe chérie, l’un de tes deux piliers, a commencé à te démanger et à te faire mal, tu n’avais qu’à aller la traiter au lieu de la badigeonner de pommades inefficaces « histoire de » continuer à marcher même en boitant.
Entre nous, je pense que ta cuisse pourra être épargnée, puisque le tout n’est pas pourri. Et puis nous, l’autre jambe gauche, nous sommes là, on peut éventuellement supporter le poids le temps que ça aille mieux. T’inquiète. Tu peux nous faire confiance, rien que sois courageux et arrache le sparadrap !
Tu sais, chacune de nous pourra t’écrire un livre sur son quotidien chaotique. Entre peur de sortir, agressions en tous genres, dépressions. Entre choisir de suer dans un pull long par quarante degrés et porter un Marcel en se disant « je prends le risque, advienne que pourra » et le regretter deux minutes plus tard. Je parle de regretter de sortir parce qu’au final, pull ou Marcel, jeans ou short, pantalon slim ou large, cheveux au vent ou foulard, rien n’y fait. Le mal est plus profond, plus ancré et aujourd’hui nous sommes coupables d’être femmes et non pas d’être habillées en femmes. Nous sommes coupables par définition et sommes devenues les propriétés exclusives de ces inconnus qui se permettent tout parce que certains de demeurer impunis.
Cher Maroc, réveille-toi je t’en conjure, nous ne sommes qu’à nos débuts et tu n’as pas le droit d’abandonner. Pas maintenant. Laisse-moi te murmurer quelque chose au creux de tes institutions « Réveille-toi, il n’est pas encore tard, mais dans très peu de temps, si tu ne prends pas ton courage à deux mains pour ouvrir les yeux … tu mourras ».
Cette chronique a été publiée sur la page Facebook, Les chroniques de Majda.