Avec ses amies Sara, Nour et Assalah, Amneh Souleimane sort régulièrement sa bicyclette bleue de sa maison de Jabaliya, un camp de réfugiés du petit territoire côtier, pour faire des balades. Beaucoup de gens, disent-elles, les encouragent et les admirent. D’autres les insultent ou s’indignent que ces femmes contreviennent à la décence islamique en pratiquant du sport à l’extérieur.
« Pour plein de gens, dès qu’une femme fait quoi que ce soit dehors, c’est l’étonnement et la surprise. Pour eux, cela va à l’encontre de nos traditions, alors que rien dans notre religion ne l’interdit », martèle cette professeure d’anglais de 33 ans, jogging noir et bonnet assorti sur la tête. »Ces restrictions doivent disparaître et j’essaie de faire passer ce message. La femme joue un rôle actif dans la société et a droit à sa liberté », poursuit-elle. La bande de Gaza est gouvernée depuis 2007 sans partage par le mouvement islamiste Hamas. Les femmes semblent cependant être davantage en butte aux coutumes ancestrales qu’à de nouvelles réglementations. Mais le blocus israélien imposé depuis 2006 et les guerres à répétition ont poussé de plus en plus de femmes à travailler pour nourrir leur famille.
Sous-représentées
Les Palestiniennes ont joué un rôle important dans la lutte nationale palestinienne et certaines ont obtenu des places en politique et dans la diplomatie, quelques-unes se sont même illustrées par leur activisme armé. Mais si près de 60% des diplômés palestiniens sont des femmes (à la fois à Gaza et en Cisjordanie occupée qui, elle, est dirigée par l’Autorité palestinienne), elles ne représentent que près de 21% des actifs dans Gaza, l’un des taux les plus bas au monde. Selon des statistiques officielles, plus de deux tiers des femmes qui ne travaillent pas disent le faire pour se consacrer à la tâche de femme au foyer.
Alors pour Amneh, qui s’est installée avec sa famille à Gaza en 1994 après avoir vécu l’exil en Syrie, la liberté passe par les loisirs, comme le vélo. C’est pour cela qu’elle s’est lancée dans l’aventure en décembre, avant d’être rejointe par ses trois amies. « On s’est dit: ‘quand on était petites, on adorait faire du vélo, pourquoi pas recommencer?' »
Sara Sleibi, 24 ans, elle aussi a décidé de faire fi des interdictions que certains voudraient lui imposer à Gaza où le radicalisme religieux fleurit sur les frustrations et l’enfermement. Quand elle se lance dans un tour de cinq kilomètres avec ses copines, toutes vêtues de leggings, gilets longs et baskets de toile, elle n’hésite pas à descendre de son vélo pour acheter une bouteille d’eau près d’un point de contrôle tenu par les forces du Hamas. Et c’est avec le sourire que les hommes l’accueillent.
Si toutes les filles s’y mettent
Des sourires, il y en a aussi qui se dessinent sur les visages d’automobilistes dont certains s’arrêtent même pour voir passer les filles. « Si les filles se mettent toutes à faire du vélo à Gaza, qui va prendre les taxis? » lance, goguenard, Ayman, chauffeur de taxi de 25 ans. Tout le monde n’est pas toujours aussi bienveillant, conviennent ces femmes. « Mais moi, je ne fais pas attention », dit Sara, qui a embarqué sa soeur Nour, 20 ans, dans ses virées. « Les insultes ne sont pas un problème, ça me rend seulement triste pour eux », dit Amneh. « On a mis deux photos seulement sur Facebook et on a reçu une quarantaine de commentaires, beaucoup de compliments et quatre nous insultant ».
Pour l’un des commentaires, « c’est une idée géniale qui montre la femme gazaouie sous son meilleur jour. Mais pour un autre, Amneh et les autres feraient mieux de « rentrer à la maison, ça sera moins honteux! » Ces balades, souligne Sara, sont surtout un moyen de faire du sport et de s’évader des tracas du travail et du quotidien. Ni elle ni ses amies ne voulaient lancer une quelconque « révolution sociale », mais après plusieurs sorties, elles ont « découvert que le regard des gens était positif » et le petit groupe serait « content » de s’agrandir.