Lutter pour les libertés individuelles, les droits des femmes, la liberté de conscience ou encore le droit à l’avortement sont quelques-uns des -nombreux- combats menés par le Mouvement Alternatif pour les Libertés Individuelles, co-fondé par Ibtissam Betty Lachgar. Rencontre avec une féministe plus qu’engagée.
À 43 ans Ibtissam Lachgar, surnommée Betty, est une des figures de proue du combat féministe au Maroc. Née à Rabat, la jeune femme est élevée au sein d’une famille ouverte et aimante. Son père, militant invétéré, laïc et féministe lui apprend à se soucier des autres et à se battre pour ses droits. Après l’obtention de son Baccalauréat et des rêves plein la tête, Betty s’envole pour Paris afin de suivre des études en psychologie clinique. Mais lors de sa deuxième année de fac, Betty apprend qu’elle est atteinte d’un cancer. S’ensuit alors une longue période d’hospitalisation, rythmée par des chimiothérapies, des chirurgies, des radiothérapies… Des moments difficiles qu’elle qualifiera pourtant de « plus belle année de sa vie », ce cancer ayant changé son regard sur beaucoup choses. Une fois remise, Betty continue ses études, se spécialise en criminologie et victimologie et obtient son diplôme de psychologue clinicienne. Mais quelques années plus tard, c’est son père qui tombe malade. La jeune femme commence alors à faire de nombreux allers-retours entre le Maroc et la France pour être proche de lui. Père et fille partagent de longues discussions concernant la non-existence flagrante de liberté au Maroc. Et c’est à ce moment-là que l’idée de monter un collectif pour lutter contre ces injustices est née. Reste à savoir comment. En 2008, suite au décès du père de Betty, Zineb El Rhazaoui, amie de la famille, aussi engagée et révoltée par la situation, reprend contact avec elle. Après plusieurs discussions, les deux jeunes femmes se mettent d’accord et fondent M.A.L.I qui signifie « Qu’est-ce que j’ai de différent ? » en arabe, le Mouvement Alternatif pour les Libertés Individuelles, un collectif qui ne fait décidément pas dans le politiquement correct.
Pouvez-vous nous parler du Mouvement Alternatif pour les Libertés individuelles? Pourquoi avoir créé ce mouvement, dans quel but, combien y’a-t-il de membres ?
M.A.L.I. Mouvement Alternatif pour les Libertés Individuelles a été co-fondé en 2009. C’est un mouvement, une sorte de collectif et non une association. Nous ne disposons pas de local, de hiérarchie et de subventions. Comme son nom l’indique, ce mouvement se veut alternatif c’est-à-dire différent du militantisme classique et de ce qui se fait déjà. C’est un mouvement de désobéissance civile féministe, universaliste et laïque. Il convient de jeter des pavés dans la mare, briser les tabous, dénoncer l’hypocrisie sociale, les atteintes aux droits humains et aux libertés publiques sans oublier la lutte contre l’inquisition socio-religieuse. Chez M.A.L.I, on ne parle pas de membres car nous ne sommes pas une association, on parle plutôt de personnes sympathisantes qui adhèrent à nos luttes et nos idées mais qui sont difficilement quantifiables. En revanche, nous avons un noyau, constitué d’une petite dizaine de personnes qui réfléchissent aux campagnes à venir, lancent des idées, font du graphisme, des communiqués de presse etc, de façon bénévole, en dehors de leurs heures de travail. C’est vrai que c’est un peu du militantisme de bricolage mais ça fonctionne.
Quelles sont les missions principales de MALI et ses principaux combats ?
M.A.L.I est un mouvement féministe, universaliste et laïque. Nous luttons pour les droits humains et les droits des femmes dans leur universalité. Nos principaux combats concernent la liberté de conscience (liberté de religion : croire ou ne pas croire, liberté de changer de religion…), les droits des femmes dans leur ensemble et la lutte contre le système patriarcal, les droits sexuels et reproductifs (droits des personnes LGBT, droit à l’avortement). M.A.L.I est né pour briser des tabous et travailler sur des sujets sensibles. Nous sommes le seul mouvement pro-choix au Maroc et de ce fait, nous sommes assez isolés et souvent critiqués. Mais ce qui est important pour nous, c’est de taper du poing sur la table. Il faut que toutes nos revendications deviennent des débats publics, que l’opinion publique soit au courant de ce qui se passe et prenne parti.
Comment réussissez-vous à défendre vos idées et à faire entendre vos revendications ?
Nous menons toujours des actions symboliques. On met en place des campagnes et on organise quelques événements qui ont pour but de s’adresser à l’ensemble du peuple marocain. Ce qu’on reproche aux associations, c’est que celles-ci ne font que des rencontres, des tables rondes, des vernissages… qui n’intéressent et ne concernent qu’une petite partie de la population, souvent déjà convaincue. Nous, nous visons les personnes qui sont loin de tout ça, qui vivent dans les campagnes, qui viennent de milieux défavorisés, qui ne sont jamais allées à l’école… Et ça fonctionne. Qu’on soit d’accord ou non avec nous, le monde parle de nos campagnes, que ce soit dans un taxi, au travail, au hammam, chez le coiffeur, en famille…. Ce n’est pas en faisant des petites manifestations ou des tables rondes que les gens vont être au courant, c’est vraiment en lançant un pavé dans la mare. Par exemple, deux semaines après notre création, pendant le mois de Ramadan en 2009, nous avons organisé notre première action qui était un pique-nique en pleine journée. Cette action avait pour but de dénoncer l’article 222 du code pénal marocain qui condamne à de la prison ferme toute personne notoirement connue musulmane et qui rompt le jeune en public. Beaucoup de personnes ne savaient pas que des musulmans faisaient le choix de ne pas jeuner, pour beaucoup, quand on naît musulman, on le reste forcément toute sa vie. Il s’agissait aussi de mettre en lumière le fait que la liberté de conscience n’existe pas au Maroc. D’exiger cette liberté fondamentale. Ce qui est important pour nous, c’est de faire des actions symboliques, des campagnes coups de poing aux slogans chocs pour faire passer des messages, dénoncer toutes les lois et les pratiques liberticides, les injustices comme on a pu le faire en 2013 avec le Kiss-in organisé devant le parlement de Rabat en soutien à un adolescent et une adolescente (plus un de leur camarade) incarcérés en raison d’une photo de bisou postée sur FB ou encore lorsque nous avons coloré en rouge les fontaines de la capitale pour dénoncer les violences faites aux femmes. Ce sont des choses qui marquent et qui font réfléchir, qui peuvent ouvrir la voie à un certain changement. D’ailleurs, c’est M.A.L.I qui a initié au Maroc le 17 mai, la Journée internationale de lutte contre les LGBTphobies qui n’était jusqu’alors pas célébrée.
Retrouvez la suite de l’interview sur le magazine de ce mois.
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