Sarah: Films, documentaires, BD même, touche-à-tout ou indécis ?
Ayoub: Je ne suis pas du tout indécis. Moi je vois dans tout ça plusieurs manières de m’exprimer qui correspondent à mon état d’esprit du moment. Je suis aussi designer ! J’aime toutes les formes d’expression visuelle. Aujourd’hui, je travaille sur trois films à la fois. Celui en Mongolie, un autre en Islande et je suis en pré-production sur un film à Tokyo. Peut-être que j’ai beaucoup de choses à exprimer et je pense que tous les moyens sont bons. Peut-être que dans quelques années, quand on relativisera mon travail on pourra apercevoir l’image globale, celle qui va au-delà de ce genre de détails. Il n’y a pas de parcours type. Quand on pense à Steve Jobs, il a révolutionné la téléphonie mais avant il a créé Pixar, il a aussi créé iTunes donc il a touché à la musique et au cinéma. Prenez aussi le réalisateur James Cameron, c’est avant tout un chercheur scientifique et ses films proviennent de ses expéditions…
Sarah: Etats-Unis, Angleterre, Mongolie, Islande, entre autres, peut-on dire que vous êtes un cinéaste nomade ?
Ayoub: Je trouve l’inspiration partout. J’ai toujours admiré les expéditions agressives. Les gens qui ont tout investit au nom de la recherche me fascinent. J’aime l’idée de sortir de sa zone de confort pour aller prendre des risques non seulement émotionnels mais aussi physiques. La Mongolie a été une expérience très intense, on dormait par terre, dans les conditions de vie les plus primaires mais j’ai adoré. C’était un super challenge. Le voyage c’est capturer une image que l’on partage avec le reste du monde. J’ai envie d’aller encore plus loin. S’il n’y a pas de danger intellectuel, ça ne m’intéresse pas. Je sais que ce processus là est on ne peut plus enrichissant. C’est comme ça que j’aspire à toucher mon public.
Sarah: Les artistes marocains doivent-ils s’exporter pour libérer leur esprit créatif ?
Ayoub: Je pense que tout artiste doit faire ça. Prenez l’image de la chenille qui quitte son cocon et change de peau pour devenir un papillon. Le savoir, l’ouverture d’esprit et les nouvelles perspectives ne viennent que lorsque l’on prend des risques. Il ne faut pas se contenter de suivre le modèle préétablit, il faut sortir s’exposer au danger intellectuel. En revenant, on sera quelqu’un d’autre.
Sarah: Que pensez-vous du cinéma marocain ?
Ayoub: Il est très intéressant, très jeune mais ambitieux. Il y a des idées. Nous sommes en train d’améliorer notre niveau technique. Encore une fois, on devrait juste prendre plus de risques. Le comédien marocain, le réalisateur marocain ne vont s’améliorer que s’ils collaborent avec l’étranger. Pour s’inspirer, se mesurer, s’enrichir. Pour compléter cette idée, je pense que le CCM aussi devrait coproduire avec l’étranger et aider les jeunes marocains dans ce sens.
Sarah: Dans vos films, on retrouve un monde à la limite de l’ésotérisme, quelles sont vos inspirations ?
Ayoub: Au lieu de vouloir plaire au monde, j’ai réalisé que le véritable artiste est celui qui cherche à se plaire lui-même. C’est-à-dire qu’il ne faut pas créer pour vendre, il faut créer en respectant notre identité propre, nos principes, nos valeurs et nos goûts. Les grands réalisateurs, de Spielberg à Nolan, tous disent qu’ils font des films qui leurs plairaient à eux d’abord. Je ne cherche pas à plaire à l’industrie ou correspondre à des étiquettes qu’on pourrait me coller de par mes origines. On n’a qu’une vie. Je pense aussi que c’est bien que mes films ne soient pas toujours évidents à comprendre. C’est une sorte de labyrinthe de narration dans lequel je pousse le spectateur à la réflexion. Je ne vois pas l’intérêt de tous ces films qui se ressemblent, qui sont prévisibles où on retrouve un schéma classique avec des méchants et des gentils. Le réalisateur porte la responsabilité de créer une sorte de jeu d’échec avec le public en le séduisant visuellement et intellectuellement.
Sarah: Cet univers assez sombre correspond-il à votre vision du monde ?
Ayoub: Oui. Je me nourris d’un certain cynisme. Ceci dit je protège ma naïveté car elle me garde ambitieux et me donne de l’énergie. Il ne s’agit pas d’un monde obscur mais d’un monde très réel. Pour gagner de l’argent, l’homme est capable du pire. Pour produire, l’homme a besoin de détruire.
Sarah: Parlez-nous de votre prochain film « Sea of light ».
Ayoub: Tout n’est que lumière. Le monde physique est une limite de perception. Dans ce film, il n’y a pas d’acteurs, que des gens réels. On y suit un vrai chercheur, un vrai pêcheur et un vrai pasteur. Mais j’ai attribué aux trois un passé fictif qui les lie. A un moment, ils ont tous rencontré une anomalie de la réalité. Eventuellement, à la fin, les trois ne formeront plus qu’une seule et même personne. Ca part du constat que rien n’est vrai et que tout est construit par notre perception. Et aussi que si tout est lumière alors tout n’est qu’un…
Sarah: Êtes-vous en couple ?
Ayoub: Non. Mais actuellement, je suis très pris par mon travail. Je traverse une sorte de tunnel créatif qui ne me laisse que très peu d’énergie ou de temps. Je dois produire trois films en deux ans… Je voyage partout, je vis entre Miami, Los Angeles, Barcelone et Casablanca. J’aime faire plaisir à ma partenaire et si la personne me demande des choses ou une présence que je ne peux pas lui offrir, je vais culpabiliser, je vais être mal. Donc je suis célibataire. (Rires)
Sarah: Comment décririez-vous la femme idéale ?
Ayoub: Simple. Minimaliste, sophistiquée, calme, indépendante, très sûre d’elle, introvertie. Une femme qui aime sans avoir besoin qu’on lui prouve qu’on l’aime tous les jours. Je ne veux pas vivre la guerre en amour mais plutôt l’harmonie.