Arts & Culture

Maroc: la chevauchée fantastique des « tbouridas »

A l’occasion du 9e Salon du Cheval d’El-Jadida (ouest), des milliers de spectateurs sont venus assister cette semaine au 1er grand prix Mohammed VI de « tbourida » ou « jeu de la poudre », une spectaculaire charge de cavalerie qui se termine par un tir synchronisé de mousquets.

Exceptionnellement, les quinze meilleures troupes du pays, les « sorbas », ont participé à ce spectacle grandiose, dans un fracas de galops et une explosion de couleurs. Harnachés dans leurs plus beaux atours, des dizaines de cavaliers, fusils en main, se lancent tour à tour à l’assaut d’un long terre-plein central sablonneux, sous les vivas de la foule.

Noblesse sauvage de la charge à cheval, exaltation guerrière du spahi, scintillement des poignards damasquinés… la « harb » –la guerre– est symboliquement de retour ce jour-là sur l’hippodrome du parc d’exposition d’El-Jadida. La « tbourida », dont le nom en arabe dialectal est dérivé de baroud qui signifie poudre à canon, « incarne l’art équestre traditionnel marocain qui remonte au XIIIe siècle », explique à l’AFP le secrétaire général de l’Association du salon du cheval, le Dr Hamid Benazzou.

Elle est la reconstitution d’une charge de cavalerie de guerriers arabes et berbères, qui se termine par un tir synchronisé, dans une détonation assourdissante et l’odeur âcre de la poudre.

Œuvre d’art

« La +tbourida+ et ses chevaux, c’est comme une oeuvre d’art », résume Mustapha Mallagui, 42 ans, fonctionnaire, agriculteur à ses heures perdues, et membre de la « sorba » (la troupe) de Fès-Meknès (centre). « Historiquement, les tribus célébraient leurs victoires avec la +tbourida+, en montrant leur savoir-faire équestre, la manipulation du fusil, la beauté de leur harnachement. C’était une sorte de parade militaire », raconte encore Mustapha, sous l’une des immenses tentes aux sols couverts de tapis rouge qui accueillent les participants.

La guerre est finie aujourd’hui. Mais le rituel, lui, est resté, traditionnellement associé aux festivités dans les campagnes. Des villes, des villages ont leur propre « sorba », avec un grand tournoi à l’échelle nationale, le Dar Essalam, et une sélection des meilleures troupes par région. Les harnachements des chevaux et les costumes des cavaliers diffèrent selon les régions, mais réjouissent toujours l’oeil: broderies, caftans, pompons, burnous, baudriers, capes et turbans… Les armes brillent également de tout leur éclat: poignards incurvés, sabres, poires à poudre et fusils aux crosses ciselées et incrustées de nacre.

La tradition de la « tbourida » est plus vivace dans le centre du Maroc, et le sud désertique, où les cavaliers vêtus de leurs majestueuses gandouras bleus tirent non pas en hauteur, mais vers le sol, « car l’ennemi s’y cache dans le sable, et non dans les montagnes ». « Avant à la guerre: pas de tank, pas d’avion… Il n’y avait que le cheval », poursuit Mustapha. 

La « tbourida », c’est surtout ça: l’histoire d’une rencontre entre l’homme et le cheval, notamment le cheval barbe ou arabe-barbe, cette race typique d’Afrique du Nord, de taille moyenne, plutôt calme, résistant, à l’encolure épaisse et à la forte ganache. Arrivé en Europe il y a des siècles, l’animal fit florès dans les cours royales ou sur les champs de bataille jusque sous Napoléon.

Discipline du soldat

En moins violent, mais tout aussi fascinant, la « tbourida » marocaine rappelle le célèbre « Bouzkachi » d’Afghanistan, où les participants se battent autour d’une carcasse de chèvre. La « sorba » est composée de 11 à 15 cavaliers, le regard fier et le port altier, alignés autour d’un capitaine, qui coordonne à grands cris le mouvement des hommes et des chevaux.

La troupe fait un premier passage, la « Hadda », au pas puis au trot, pour exhiber son apparat, son aisance sur la selle et au jeu du fusil.  Puis vient le second passage, la « Talqa » et coeur de l’épreuve: c’est la charge. Au galop et dans un alignement parfait, avec en apothéose le tir simultané des mousquets qui ne doit faire qu’un, déclenché par une harangue du capitaine. Et enfin les chevaux qui s’arrêtent brutalement, sous le nez du jury.

Les accidents sont fréquents. Une chute, un fusil mal chargé. « Pour être cavalier de +sorba+, il faut la discipline du soldat », dit l’un d’entre eux. Le tout dure à peine une minute. Mais recommencera pendant près de deux heures à El-Jadida. Deux heures de cavalcade et de beauté sauvage.

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