Elle n’a pas de super pouvoir mais le studio Marvel, surtout connu pour ses héros musculeux, a consacré à cette mère de Madaya, ville syrienne assiégée, une bande-dessinée pour dire au monde son calvaire, qui ressemble à celui de milliers d’autres aujourd’hui en Syrie.
C’est la chaîne américaine ABC qui a initié le projet, après qu’une de ses équipes a échoué à se rendre à Madaya, empêchée par l’armée régulière.
Cette ville d’environ 40.000 habitants, située à quelques kilomètres de la frontière avec le Liban, est assiégée depuis deux ans et a été l’une des plus touchées depuis le début de la guerre civile en Syrie.
Depuis mi-2015, le siège de Madaya est total et a entraîné la mort de plus de 60 personnes, victimes de la famine et de la malnutrition.
Les journalistes d’ABC sont entrés en contact avec une jeune trentenaire de Madaya, mariée et mère de cinq enfants, et ont établi avec elle une correspondance.
La chaîne a ensuite proposé à Marvel (les deux sociétés appartiennent au groupe Disney) de faire de cette correspondance une bande-dessinée, tout en préservant l’anonymat de la jeune femme, pour témoigner de ce qui ne pouvait être montré en images.
Le résultat s’intitule « Madaya Mom », fait une trentaine de planches, essentiellement en noir et blanc, et est accessible gratuitement sur le site d’ABC News, le service d’information de la chaîne.
On y trouve peu de sang, pas d’image insoutenable, car la puissance vient des textes, terribles, qui parlent du quotidien d’une famille au milieu de l’horreur.
« Je ne voulais pas faire une bande-dessinée de guerre », explique à l’AFP Dalibor Talajic, l’auteur des dessins, mais plutôt un album « avec le point de vue d’un civil. Quand vous êtes impuissant. (…) Vous attendez que ça se termine ou que vous mourriez ».
Jusqu’ici, l’illustrateur était surtout connu pour son travail sur Deadpool, l’antihéros à l’affiche d’un film éponyme en début d’année.
Marvel l’a choisi, dit-il, pour le projet « Madaya Mom » parce qu’il est croate et a connu la guerre d’indépendance de 1991, mais aussi pour sa capacité, reconnue, à restituer la gestuelle et les expressions humaines.
Autre caractéristique, atypique dans l’univers XXL des super-héros, Dalibor Talajic aime s’ancrer dans le réel. « J’essaye toujours de rester dans quelque chose de familier, de terre-à-terre, de plus probable », dit-il.
« C’était un défi, vraiment, de ne pas en faire quelque chose de sensationnaliste », se souvient-il, lui qui n’a jamais vu de photos de cette femme ou de sa famille. « J’étais sur le fil du rasoir, pour ne pas exploiter la souffrance de quelqu’un ».
Les petits moments de convivialité, les bonheurs volés, alternent avec la barbarie. Exemple: après une longue fermeture, l’école rouvre à la grande joie des filles de « Madaya Mom », avant de recevoir une bombe qui déchiquette plusieurs de leurs camarades sous leurs yeux.
Marvel a déjà plusieurs fois fait des incursions dans le réel, avec notamment un album sur le pape Jean-Paul II, sur Saint François d’Assise et un autre sur Mère Theresa.
« Je voulais en faire quelque chose qui soit le plus général possible », explique Dalibor Talajic, jeune quadragénaire au verbe précis et à l’allure débonnaire. « C’est une voix, mais c’est la voix de toute cette région ».
ABC a réussi à faire passer des illustrations de l’album à « Madaya Mom », la vraie, qui a aimé le résultat, assure Rym Momtaz, journaliste de la chaîne, dans un documentaire consacré au projet.
« Elle trouve que Dalibor a vraiment rendu l’allure des gens, l’ambiance, la ville », dit-elle.
« Si jamais elle sort », se promet Dalibor Talajic, « les dessins seront pour elle ».