En plein changement d’ère, entre séisme Weinstein et bouleversements de l’industrie, le Festival de Cannes est contraint de se réinventer pour rester le plus grand événement mondial du 7e Art. Une mutation qui semble avoir commencé lors de la 71e édition close samedi soir.
Des femmes poing levé
Les femmes auront été visibles comme rarement à Cannes, dans le sillage du mouvement #MeToo.
Avec des mots forts, ceux de l’actrice italienne Asia Argento, l’une des accusatrices d’Harvey Weinstein, le poing levé lors de la cérémonie de clôture. Quelques mots seulement pour une intervention fracassante face au public cannois pour assurer que l’impunité ne serait plus de mise dans l’industrie du cinéma: « Vous savez qui vous êtes. Plus important encore, nous, nous savons qui vous êtes. »
Ce discours est « pour toutes les femmes courageuses qui ont dénoncé leurs prédateurs, et pour toutes celles qui le feront à l’avenir« , a expliqué l’actrice ensuite sur Twitter.
Qualifié de « reproche fracassant » par le New York Times, de « discours explosif » par le Hollywood Reporter, ce coup de semonce suivait une autre image marquante de la quinzaine cannoise: la montée des marches de 82 femmes du 7e Art, menée par la présidente du jury, l’Australienne Cate Blanchett, pour « l‘égalité salariale« .
Cannes, en première ligne, sait désormais que cette question sera centrale.
Pour une deuxième Palme d’or féminine, c’est en revanche encore raté, 25 ans après le triomphe de Jane Campion pour « La leçon de piano ».
Le jury a cependant récompensé deux des trois réalisatrices en compétition (contre 18 réalisateurs): la Libanaise Nadine Labaki, prix du jury pour « Capharnaüm », et l’Italienne Alice Rohrwacher, prix du scénario pour « Heureux comme Lazzaro ».
En ouvrant le Festival, Cate Blanchett avait dit qu’elle « aimerait voir plus de femmes en compétition ». L’année prochaine?
Pas de Netflix et moins d’Américains
L’industrie du 7e Art connaît des bouleversements majeurs, avec l’importance croissante des plateformes internet dans la production et la diffusion.
Le Festival de Cannes doit s’adapter. Après avoir invité deux films Netflix en compétition l’an dernier, Cannes a dû s’en passer cette année, faute d’avoir réussi à imposer au géant américain une sortie en salles pour les films
« Netflix est toujours le bienvenu à Cannes. Continuons à parler », a souligné Thierry Frémaux, le délégué général du Festival. Mais Cannes est pour l’instant dans l’impasse, car le modèle de Netflix se heurte à une spécificité française: le délai de trois ans imposé en France entre la sortie d’un film en salles et sa diffusion sur une plateforme de vidéo par abonnement (SVOD).
L’absence de Netflix a peut-être contribué au faible nombre de films américains en compétition cette année – seulement deux, dont celui de Spike Lee « BlacKkKlansman », qui a remporté le Grand prix.
Autre raison à cette désaffection: l’attractivité grandissante des festivals d’automne (Venise et Toronto) pour les Américains, qui préfèrent cette fenêtre plus proche des Oscars.
Une tendance qui va pousser le Festival à trouver d’autres façons de briller malgré, comme cette année déjà, des stars hollywoodiennes moins nombreuses sur son tapis rouge. Pour essayer de faire mentir ceux qui, comme Le Figaro en France ou le Hollywood Reporter, le juge sur le déclin.
Recentrage sur le cinéma d’auteur?
Conséquence de ces changements: Cannes – politique cette année avec notamment la sélection de deux cinéastes interdits de voyager, le Russe Kirill Serebrennikov et l’Iranien Jafar Panahi – était davantage tourné vers le cinéma d’auteur international, en provenance notamment d’Asie et du Moyen-Orient.
A l’image de la Palme d’or, jugée méritée par nombre de critiques, décernée au Japonais Hirokazu Kore-Eda (« Une affaire de famille ») ou du film de Nadine Labaki.
Pour certains, comme Vanity Fair, Cannes « s’est réaffirmé comme la première destination pour un cinéma international audacieux et provocateur ». Une tendance de fond?
Cette importance du cinéma d’auteur n’a pas profité aux Français: malgré quatre films en compétition, ils repartent bredouilles, pour la première fois depuis 2012, hormis le Franco-Suisse Jean-Luc Godard, récompensé par une « Palme d’or spéciale ».
Au point d’amener certains critiques à remarquer davantage d’autres œuvres françaises dans les sections parallèles du festival comme « Sauvage » de Camille Vidal-Naquet à la Semaine de la critique.
Autre pépite en section parallèle (Un Certain regard), « Girl » du Belge Lukas Dhont, qui a eu le prix du meilleur premier film, toutes sections confondues.