Ils sont une dizaine de comédiens à revêtir plusieurs soirs par mois perruques et caftans et à reprendre les chants traditionnels des Cheikhats, ces chanteuses populaires mal-aimées , pour faire revivre l’art de la aïta. Rencontre avec les Kabareh Cheikhats, cette troupe qui révolutionne la scène musicale marocaine.
Des hommes qui se déguisent en femmes, cela peut surprendre. Pourtant, les artistes travestis font partie intégrante du patrimoine culturel marocain, n’en déplaise à certains. C’est l’un des messages que souhaite faire passer Ghassan El Hakim, professeur de théâtre qui a eu l’idée de monter ce spectacle et qui en est l’actuel metteur en scène. Mais les Kabreh Cheikhats prônent également une vision féministe très actuelle.
Tout commence en 2016 lorsque Ghassan, fondateur de l’école d’art La Parallèle souhaite s’entourer de jeunes comédiens afin de monter une pièce de théâtre. Mais Ghassan se rend vite compte que monter une pièce de théâtre au Maroc est difficile. Il décide alors de transformer son idée première en spectacle chanté, jusqu’à devenir un véritable cabaret. Une forme nouvelle où il est possible de s’exprimer librement.
Les Kabareh Cheikhats étaient nés. Mais ces représentations ne sont qu’une petite partie du travail réalisé par la troupe appartenant à l’association JAA (Jouk Attamtil Al Bidaoui) qui s’illustre également dans d’autres pièces telles que « Le songe d’une nuit d’été » ou encore « Antigone » interprété en darija. Néanmoins, le spectacle des Kabareh Cheikhats est celui qui fait la renommée de la troupe, pour le plus grand plaisir de Ghassan et de son équipe.
Parlez-nous de la troupe des Kabareh Chikhates, qui sont-ils ?
En tout on est une vingtaine dans l’association mais dans le Kabareh on est dix comédiens à jouer. La majorité d’entre eux étaient mes élèves et il y en a deux ou trois qui nous ont rejoint après, mais qui sont comédiens également, clowns ou encore magiciens. Ce sont des jeunes mais c’est ce je recherchais. La moyenne d’âge est de 25 ans, donc lorsque nous avons débuté l’aventure, il y a 3 ans, la majorité était âgée de 20-22 ans.
Aujourd’hui, ils commencent à en faire leur métier, à pouvoir vivre de ça et à lui donner une nouvelle définition. Aussi, avec l’association, on essaye de mettre en place, en plus de nos spectacles, un partenariat avec les écoles privées pour enseigner le théâtre dans les écoles. On se rend compte qu’il y a manque cruel d’art au niveau de l’éducation et on essaye d’y remédier en adaptant notre offre au public.
Ça prend beaucoup de temps pour mettre ça sur des rails, pour le diffuser et le jouer toute l’année mais on prend le temps et on se dit que d’ici deux à trois ans peut-être que ça déclenchera quelque chose, qu’on aura ce besoin de culture, d’aller au théâtre, dans des salles de représentation etc.
Pourquoi avoir décidé de créer cette troupe et ce spectacle ?
Au départ, je voulais monter une pièce d’un auteur russe que j’avais déjà monté auparavant. En pensant à cette pièce, j’avais déjà dans l’idée de ne faire jouer que des hommes et leur donner la possibilité de se déguiser en femme. Parce qu’à l’époque, les femmes n’avaient pas le droit de jouer, c’étaient les hommes qui tenaient leurs rôles. Après, j’ai abandonné cette idée de monter une pièce de théâtre parce que c’est très difficile, je voulais une forme qui soit plus légère et plus facile à tourner mais je voulais aussi quelque chose qui s’éloigne un peu du théâtre.
Je voulais m’éviter tous ces rouages de la production théâtrale en créant quelque chose que j’appelle « fraja » c’est-à-dire un spectacle, une représentation qui touche le Marocain avec un peu de provocation, mais juste visuelle. Je voulais une forme nouvelle où je pouvais m’exprimer, écrire et me renouveler tout le temps. Je me suis alors intéressé aux Cheikhats qui sont une figure importante de notre patrimoine culturel et qui étaient des femmes de pouvoir.
Avec cette montée du féminisme qui se fait sentir partout dans le monde, je me suis dit que rendre hommage au statut de la Cheikha et lui redonner la visibilité qu’elle mérite s’inscrivait parfaitement dans la tendance. Je souhaitais aussi, à travers ce spectacle, montrer que la musique marocaine ne doit pas être réduite seulement à une musique folklorique, que c’est beaucoup plus que ça et qu’elle peut s’exporter.
Retrouvez la suite de l’interview sur le magazine de ce mois.
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