Créée officiellement en septembre 2016, JOOD – « pour don de soi » – vient en aide aux sans domicile fixe (SDF) dans plusieurs villes du royaume. Repas chauds, vêtements, soins médicaux, produits d’hygiène ou en sortant les familles de la rue, l’association œuvre pour améliorer les conditions de vie des sans-abris dans leur environnement. Derrière cette initiative solidaire, Hind Laidi, fondatrice et présidente, raconte à Plurielle son combat pour rendre aux plus démunis une dignité.
Plurielle: Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Hind Laidi, j’ai 40 ans et je suis maman de deux petits garçons. Je suis directrice d’une agence de communication par l’objet et présidente – fondatrice de l’association JOOD. Je suis également membre active du Ladies Circle Morocco.
Pouvez-vous nous expliquer la démarche de JOOD ?
JOOD est une association à but non lucratif, areligieuse et apolitique. Son but principal est d’améliorer les conditions de vie des sans-abris dans leur environnement. Nous venons également en aide aux familles et aux mères célibataires en les sortant de la rue et en les aidant à se réinsérer dans la société.
Pourquoi avoir créé cette association ?
Tout a commencé en 2009. Cette année-là, j’ai failli mourir au cours d’une opération chirurgicale. Après ma guérison, pour remercier Dieu, ma mère a égorgé un mouton et a préparé un énorme couscous. Elle l’a mis dans des barquettes et m’a dit d’aller distribuer ces repas aux plus nécessiteux. Cette nuit-là m’a marquée. J’ai été scotchée par la réaction de certaines personnes. Je pouvais lire tellement de bonheur dans leurs yeux, on avait l’impression qu’ils avaient gagné au Loto ! Beaucoup pleuraient et ne cessaient de me remercier. Je savais donc qu’il fallait que je fasse quelque chose pour venir en aide à toutes ces personnes, mais seule, je n’en avais pas vraiment les moyens. Ce n’est que 6 ans plus tard, en 2015, que j’ai concrétisé ce projet. Cette année-là, je suis devenue présidente du club des Ladies Circle Morocco et à chaque début de mandat, la nouvelle présidente propose un projet à mener. Le mien était tout trouvé. J’ai alors proposé aux membres du club de préparer chaque semaine, à tour de rôle, 100 repas, puis d’effectuer des maraudes (distribution auprès des sans-abris la nuit). Même si au départ, certaines étaient réticentes à l’idée de sortir la nuit, tout le monde a rapidement adhéré à l’idée. Vous savez chez nous, ça fait partie de la culture de venir en aide aux plus démunis et de nourrir les affamés. Nous avons donc effectué notre première maraude le 17 septembre 2015.
C’est donc comme ça qu’est née JOOD ?
Exactement ! L’action a commencé ça. Sauf qu’à la fin de mon mandat au Ladies Circle, j’ai dû laisser la place à une autre présidente et à une nouvelle action. J’ai donc décidé de créer l’association JOOD pour pouvoir continuer à venir en aide aux SDF. L’association a été officiellement créée en septembre 2016. Il y a plus de 300 000 associations au Maroc, et à l’époque, aucune d’entre elles n’allait sur le terrain. Il s’agissait donc d’une évidence, d’une nécessité ! Je suis contente car JOOD a permis de changer le regard de la société sur les marginaux. Des a priori sur les sans-abris ont pu ainsi être balayés. Ils sont en effet généralement très reconnaissants de ce qu’on leur offre et ne sont pas forcément violents. JOOD a donc permis d’enclencher le mouvement. Aujourd’hui, les gens s’y intéressent, nous suivent, viennent nous aider. Et ça, c’est ma plus grande réussite.
D’où proviennent vos fonds ?
Nous n’avons aucune subvention étatique, aucun sponsor, ce sont des particuliers qui envoient des dons. Certains nous donnent également des vêtements et des chaussures qu’ils ne portent plus. On fait ensuite des packs comprenant des couvertures, des habits et des souliers, que nous classons par taille. Aussi, au sein de l’association, nous avons seulement trois salariés, à savoir un gardien et deux cuisinières. Tous les autres sont des bénévoles. On compte à peu près 700 bénévoles, c’est une grande famille ! Une fois que l’on a vécu l’expérience, on ne peut plus s’en passer. La joie et la reconnaissance que nous pouvons lire dans les yeux de ces personnes valent tous les mots. À force, nous devenons amis avec les SDF. On discute, on rigole, on danse ! On a hâte de les retrouver et de prendre de leurs nouvelles.
Comment fonctionnez-vous ?
On achète de tout (aliments, packs d’hiver…), on prépare ensuite les repas les après-midi puis on les distribue le soir même. Nous effectuons deux distributions par semaine à Casablanca. À chaque tournée, nous distribuons 400 repas minimum, soit plus de 800 repas par semaine. Nous avons également lancé une antenne à Marrakech et une autre à El Jadida, courant 2017. Ils distribuent plus de 300 repas par semaine dans la ville ocre et 150 à El Jadida.
Vous venez également en aide à des mères célibataires. Comment cela se passe-t-il ?
Quand on trouve des mèes célibataires, on discute systématiquement avec elles pour étudier leurs comportements. Si elles sont sous l’emprise de l’alcool ou de drogues, malheureusement nous ne pouvons pas leur venir en aide. En effet, nous n’avons pas les moyens de les envoyer dans des centres de désintoxication. Même si ça nous brise le cœur, nous ne pouvons rien faire pour elles. En revanche, quand la femme est « solvable » nous l’annonçons tout de suite sur les réseaux sociaux pour collecter des fonds. Nous recherchons des personnes pour payer un loyer à la maman et lui verser un salaire, pendant une période de 6 mois, le temps qu’elle se remette sur pieds. On paye également la scolarisation des enfants. Ensuite, on trouve un projet pour la maman ou une formation. Cela peut aller de la formation de couturière à la production de gâteaux pour une laiterie en passant par la vente de chaussettes et de caleçons à l’étalage par exemple. Ce sont souvent des femmes qui fuient un mari violent, qui sont chassées par leur famille en étant tombées enceintes sans être mariées…
Combien de femmes dans cette situation avez-vous pu aider ?
Environ 80. Mais je parle de familles en général, pas seulement de mères célibataires. Parfois on trouve toute une famille à la rue, les parents et les enfants. Nous avons aussi aidé des pères célibataires. Mais 95 % sont des femmes.
Que sont-elles devenues ? Y’en a-t-il certaines qui ont trouvé un travail et qui sont indépendantes financièrement ?
Bien sûr ! Nous avons deux jeunes femmes qui sont aujourd’hui salariées dans un grand laboratoire de pâtisseries et de friandises. Elles ont commencé comme femmes de ménage puis ont appris le métier. Il y en a d’autres qui ont trouvé des postes de couturières, de femmes de ménage… Mais il y en a qui ne peuvent pas travailler. Nous avons par exemple une grand-mère, qui a 11 petits-enfants ! Ses deux filles sont mortes de la tuberculose, elle doit donc s’occuper des petits. Et la pauvre est âgée, donc elle ne peut pas travailler. Il y a une autre femme qui a 7 enfants, dont 3 en bas âge, qui a fui son mari qui la battait. Elle aussi ne fait que s’occuper de la maison. Elle a aujourd’hui une jolie petite habitation, très bien tenue et très bien aménagée. Pour ces cas spéciaux, nous sommes obligés de leur verser continuellement un salaire, pour avoir de quoi vivre, et de payer leur loyer. Mais nos donateurs sont très généreux ! Et quand il y en a un qui se désiste et arrête de payer, on en trouve un autre en postant une annonce les réseaux sociaux. Nous avons beaucoup de chance, nos mécènes sont très généreux !
Faites-vous des partenariats pour aider ces jeunes femmes ?
Oui, nous collaborons avec plusieurs associations à Marrakech, dont le Centre Widad, le Centre Al Amal, la Maison des Vieux de Marrakech, chez qui nous plaçons des femmes. Elles sont alors logées gratuitement et formées à un métier.
À quoi ressemblent des moments de l’aventure JOOD au quotidien ?
Des anecdotes amusantes, nous en vivons tous les jours ! Nous sommes très proches des SDF avec qui nous échangeons au quotidien et rions également souvent. Pour exemple, je me souviens de cette fois où nous avons trouvé un vieux monsieur de 80 ans dans la rue. C’était quelqu’un de très bien élevé, d’instruit. Il supportait très mal ses conditions de vie et nous disait vouloir mourir. Nous lui avons alors trouvé un logement et versé un salaire. mais, à la fin du mois, il nous appelait en pleurs pour nous dire qu’il n’avait plus de quoi se nourrir, parce qu’il mettait tout son argent dans les prostituées (rires). C’était très drôle ! Mais même si on passe beaucoup de bons moments en leur compagnie, on ne peut s’empêcher de penser à tous ceux qu’on ne peut pas aider. C’est ça le vrai malheur. Il y a aussi des femmes qui, malgré notre aide, sont reparties à la rue. Elles n’arrivaient pas à se réadapter. Leur repère, c’est la rue. Elles vivent dans un autre monde, sans notion du temps. C’est dur pour certaines femmes de se réadapter au monde, de respecter des horaires etc. Malheureusement, on ne peut pas les forcer.
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