Première femme imam de Scandinavie, Sherin Khankan prône un islam moderne, ouvert, modéré mais également plus féminin. Un discours progressiste qui dénote. Rencontre.
Avec son visage lisse et ses traits scandinaves, son ton calme et posé, Sherin Khankan est une sorte de force tranquille. Mais derrière cette tête d’ange se cache une femme pleine d’ambition qui ne cesse de se battre pour améliorer la condition des femmes dans l’islam. Née au Danemark en 1974 d’une mère finlandaise chrétienne, infirmière de profession, et d’un père réfugié syrien et homme de lettres, la jeune femme fait rapidement le choix de suivre la religion musulmane.
Passionnée par la psychologie et les religions, elle décide, à sa majorité, d’étudier les religions et plus particulièrement l’islam. Elle suit alors une formation islamique à l’université de Copenhague où elle obtient un Master en sociologie des religions et de philosophie. Puis, Sherin s’envole pour la Syrie où elle obtient un Master en arabisme à l’université de Damas. À ce moment-là, le pays est en pleine période de transition entre Hafez el-Assad et Bachar el-Assad et déjà, l’idée de créer une mosquée exclusivement dirigée par des imams femmes germe dans son esprit.
À son retour au Danemark, Sherin crée en août 2001 « l’Association des musulmans critiques » qui propose une relecture du Coran en adéquation avec les sociétés actuelles. Les fondements de la mosquée Mariam sont posés. Mais il faudra attendre 2016 pour que cette mosquée 100% féminine voie le jour. Une grande première en Europe.
Avez-vous toujours souhaité devenir imam ? Pourquoi ?
Non. Au départ je voulais devenir psychologue ou étudier les religions. J’ai finalement choisi d’étudier les religions et l’islam en particulier. Les choses ont fait que j’officie aujourd’hui en tant qu’imam à la mosquée Mariam mais je travaille également en tant que psychothérapeute. Au final, j’évolue donc dans les deux domaines qui m’ont toujours passionnée. En effet, je suis la fondatrice de l’Exitcirklen, première organisation de développement au Danemark qui propose des groupes de discussion pour les personnes exposées aux violences psychologiques, au contrôle social et religieux. Nous avons un programme qui donne aux participants douze outils cognitifs leur permettant de faire face aux conséquences de la violence.
Beaucoup de femmes et de jeunes filles mais aussi d’hommes et de jeunes garçons victimes de violences psychologiques souffrent de stress post-traumatique ou d’anxiété. Les conséquences sont très graves. J’ai 40 volontaires et 3 employés qui travaillent avec moi et nous comptons aujourd’hui sept groupes de soutien au Danemark. Notre objectif à terme est d’en avoir un dans chaque ville. Ces groupes sont accessibles à tout le monde. Nous croyons en effet que la violence psychologique est un problème mondial et que cela se trouve dans toutes les cultures, dans toutes les religions, dans toutes les sociétés et dans toutes les communautés. Ceci est donc mon activité principale tandis que la mosquée est un travail complètement volontaire.
Je suis également écrivaine. J’ai écrit quatre livres sur l’islam. Le premier a été publié en 2006 et s’appelle « Islam et réconciliation, une affaire publique». Dans ce livre, j’explique que l’on peut intégrer avec succès les musulmans dans les pays européens sans privatiser la religion, que celle-ci a le droit et la possibilité d’être une affaire publique. Selon moi, le sacré doit être un dialogue continu entre les religions et le politique. Je pense en effet que les religions ont beaucoup de choses à offrir à nos sociétés.
Existe-t-il d’autres femmes imams dans le monde ?
Oui, les femmes imams ne sont définitivement pas un phénomène nouveau, il en existe en Chine depuis 1820. À New-York, les femmes sont autorisées à mener la prière depuis 2005 et il existe aujourd’hui des femmes imams en Allemagne, dans les villes d’Hambourg et de Cologne, à Berlin aussi plus récemment, en Suisse, en Angleterre, en France, au Canada, en Afrique du Sud… C’est donc quelque chose qui se propage de plus en plus.
Pourquoi avoir décidé de créer une mosquée exclusivement dirigée par des femmes ? Dans quel but ?
Partant du constat que les femmes n’ont toujours pas les mêmes droits que les hommes, j’ai voulu challenger la structure patriarcale des institutions religieuses. Avant de créer la mosquée Mariam, j’ai essayé de pénétrer dans les mosquées à prédominance masculine pour voir où les femmes pourraient diriger la prière et donner la houtba, mais c’était impossible. J’ai donc pensé que s’il n’était pas possible d’entrer dans les communautés de mosquées existantes et permettre aux femmes d’avoir les mêmes droits que les hommes, nous devions créer notre propre mosquée et donner cette possibilité aux femmes. Parce que cela ne nous sera jamais donné par d’autres, nous devons nous donner nos propres moyens.
En effet, la mosquée n’est pas qu’un lieu de culte, c’est aussi un lieu de savoir, de connaissance et de sagesse donc celui qui a des connaissances, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme devrait pouvoir diffuser le message de l’islam. Je savais également que quand vous voulez instaurer un changement, vous devez le faire très sagement et lentement, vous devez connaître votre communauté.
Comme les facultés de droit islamique autorisent les femmes imams à diriger la prière pour les femmes, j’ai pensé qu’il serait plus prudent d’avoir une mosquée 100% féminine où nous pourrions faire la vraie révolution comme célébrer des mariages interconfessionnels, accorder le droit aux femmes musulmanes de divorcer… Le fait de créer une mosquée pour les femmes exclusivement le vendredi nous permet d’instaurer ces changements tout en étant protégées.
La mosquée Mariam a-t-elle été bien accueillie par les autorités islamiques ?Quels problèmes rencontrez-vous ?
Au Danemark non. Quand nous avons commencé la mosquée, nous avons rencontré une opposition silencieuse. Bien sûr, lorsque vous modifiez une structure patriarcale, vous modifiez l’équilibre des pouvoirs et les gens ne sont pas contents. Mais je pense que beaucoup de musulmans ne savaient même pas que les femmes imams font en réalité partie de nos traditions islamiques. Nous avons donc dû raconter toute ces histoires qui sont tombées dans l’oubli, ces histoires de femmes qui étaient imams à l’époque du prophète à Médine.
En réalité, nous ne faisons aucune réforme, nous retournons à nos racines, aux sources et à nos traditions. Maintenant nous sommes assez bien acceptées mais cela dépend à qui vous demandez. Au Danemark, nous devenons de plus en plus légitimes. Nous avons une communauté grandissante, nous avons de nombreux volontaires et beaucoup de fidèles viennent pour les prières du vendredi. Tous les jours, des personnes du monde entier nous contactent pour des accompagnements spirituels islamiques, pour célébrer un mariage interreligieux, un mariage islamique, un divorce ou une conversion…
Nous avons également reçu la visite du grand imam de Jakarta en Indonésie, qui reçoit 200 000 visiteurs chaque vendredi dans la Mosquée Istiqlal. Ce dernier est venu bénir notre mosquée et nous a confié que les femmes imams sont une bénédiction pour les communautés islamiques. Nous avons aussi reçu la visite d’un grand sheikh d’Afrique du Sud et nous avons établi un partenariat avec le Centre de théologie et de science islamique de Münster en Allemagne avec lequel nous planifions une conférence. Donc notre légitimité à l’étranger ne fait qu’augmenter et je pense que ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle ne s’intensifie au Danemark aussi.
Retrouvez la suite de l’interview sur le magazine de ce mois.
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