Le théologien musulman suisse Tariq Ramadan, visé par deux plaintes pour viol en France, a été présenté ce vendredi à un juge d’instruction à Paris en vue d’une possible inculpation, la justice demandant son placement en détention.
Au terme de ses deux jours de garde à vue, l’islamologue de 55 ans, aussi clivant qu’influent depuis des années dans les milieux musulmans, a été déféré vendredi matin au parquet de Paris, selon des sources concordantes.
Une information judiciaire pour viol et viol sur personne vulnérable a été ouverte et son placement en détention provisoire a été demandé par le parquet.
Trois juges ont été désignés, selon ces sources, signe de la complexité de l’affaire ou de l’amplitude des investigations envisagées.
Peu après midi, les avocats de Tariq Ramadan, Mes Yassine Bouzrou et Julie Granier, se sont rendus au pôle de l’instruction du palais de justice de Paris pour l’audition.
Deux femmes avaient accusé, fin octobre, le théologien de les avoir violées, l’une en 2009 à Lyon, et l’autre en 2012 à Paris.
Ce petit-fils du fondateur de la confrérie égyptienne islamiste des Frères musulmans, accusé par ses détracteurs de promouvoir un islam politique, avait alors dénoncé « une campagne de calomnie ».
La première plaignante, Henda Ayari, 41 ans, accuse l’islamologue de l’avoir violée dans un hôtel de Paris en 2012. Elle avait déjà raconté la scène dans son autobiographie en 2016, désignant son agresseur présumé par un pseudonyme et sous les traits d’un prédicateur musulman aux conférences très courues. Mais sans se résoudre encore à porter plainte.
La défense de l’intellectuel a alors versé au dossier des pièces censées discréditer la parole de cette ancienne salafiste devenue militante féministe. Notamment des conversations sur Facebook au cours desquelles une femme, qui se présente comme Henda Ayari, fait en 2014 – soit deux ans après les faits présumés – des avances explicites à Tariq Ramadan, qui n’y donne pas suite.
Humiliations
La seconde plainte avait été déposée fin octobre, quelques jours après la première. Cette femme de 40 ans, qui se présente sous le pseudonyme de « Christelle », accuse l’universitaire de l’avoir violée et frappée lors de leur unique rencontre dans un hôtel à Lyon (centre-est) en 2009.
« Coups sur le visage et sur le corps, sodomie forcée, viol avec un objet et humiliations diverses, jusqu’à ce qu’elle se fasse traîner par les cheveux vers la baignoire et uriner dessus, ainsi qu’elle l’a décrit dans sa plainte », rapporte le magazine Vanity Fair, qui l’a rencontrée.
Tariq Ramadan et « Christelle » ont confronté jeudi en fin d’après-midi leurs versions. Au terme de trois heures d’audition très tendue, le théologien, qui nie tout rapport sexuel avec cette femme, a refusé de signer le procès-verbal.
« Chacun est resté sur ses positions », a précisé une source proche du dossier. Selon elle, l’islamologue a été mis en difficulté par la connaissance qu’avait son accusatrice d’une petite cicatrice à l’aine, indécelable sans un contact rapproché.
Avant de convoquer M. Ramadan, les policiers avaient mené trois mois d’enquête qui avaient débuté par l’audition des plaignantes, à Rouen (nord-ouest) et Paris. Selon une source proche de l’enquête, de nombreux échanges à caractère érotique ont été versés au dossier et des dizaines de personnes ont été entendues, notamment des femmes témoignant de faits similaires mais qui n’ont pas porté plainte à ce jour.
L’essayiste française Caroline Fourest, qui combat médiatiquement Tariq Ramadan depuis plusieurs années, a également été auditionnée. Les avocats de l’intellectuel ont riposté en déposant une plainte contre elle pour subornation de témoin.
Après l’ouverture de l’enquête, qui a fait resurgir des accusations d’agressions sexuelles sur ses élèves à Genève dans les années 1990, Tariq Ramadan a été mis en congé, d’un commun accord, de l’université britannique d’Oxford, où il enseignait comme professeur d’Etudes islamiques contemporaines. Il continue toutefois de diriger un Institut islamique de formation à l’éthique (IIFE) à Paris.