Trois semaines après l’arrestation de la journaliste Hajar Raïssouni pour « relations sexuelles hors mariage » et « avortement », l’écrivaine Leila Slimani et la réalisatrice Sonia Terrab ont rédigé un manifeste féministe contre la pénalisation des relations sexuelles hors mariage.
« Nous sommes des hors-la-loi », voilà le cri de révolte de Leila Slimani et Sonia Terrab, trois semaines après l’arrestation de la journaliste Hajar Raïssouni pour “avortement” et « relations sexuelles hors mariage ».
Les deux écrivaines ont publié un manifeste pour dénoncer l’article 490 du code pénal qui stipule : « Sont punies de l’emprisonnement d’un mois à un an, toutes personnes de sexe différent qui, n’étant pas unies par les liens du mariage, ont entre elles des relations sexuelles » et pour engager un débat national sur les libertés individuelles.
Le manifeste a été publié ce lundi 23 septembre en darija, arabe, français et anglais. Des centaines de femmes de tous les âges et milieux font partie des signataires. Parmi elles, Nabila Mounib, Soumaya Naamane Guessous, Nadia Larget, Amal Atrache… Les hommes soutiennent eux aussi les iniatrices du manifestes à l’instar de Abdellatif Laabi, Abdelouahab Rafiki (Abou Hafs), Mahi Binebine, Hicham Lasri…
Voici le texte du manifeste:
Nous, citoyennes et citoyens marocains, déclarons que nous sommes hors-la-loi.
Nous violons des lois injustes, obsolètes, qui n’ont plus lieu d’être.
Nous avons eu des relations sexuelles hors mariage.
Nous avons subi, pratiqué ou été complices d’un avortement.
Nous avons appris à feindre, à composer, à faire semblant. Pour combien de temps encore ?
Chaque jour, chaque heure, en secret, en cachette, des femmes comme moi, des hommes comme toi, conservateurs ou progressistes, personnalités publiques ou anonymes, de tous les milieux et toutes les régions, osent et s’assument, jouissent et existent par eux-mêmes, brisent des chaînes et bafouent des lois. Parce qu’ils aiment.
Chaque jour, je me rends coupable d’aimer et d’être aimé. Chaque fois qu’une femme est arrêtée, je me rends complice. Je me dis : ça aurait pu être moi…
Puis je me tais, je passe mon chemin, je m’efforce d’oublier…
Mais je n’y arrive plus. Je n’en peux plus. Car mon corps m’appartient, il n’appartient ni à mon père, ni à mon mari, ni à mon entourage, ni aux yeux des hommes dans la rue, et encore moins à l’Etat.
Aujourd’hui, je ne veux plus avoir honte. Moi qui aime, avorte, ai des relations sexuelles sans être mariée. Moi qui me cache. Moi qui risque le déshonneur, l’infamie, la prison.
Cette culture du mensonge et de l’hypocrisie sociale génère la violence, l’arbitraire, l’intolérance. Ces lois, liberticides et inapplicables, sont devenues des outils de vengeance politique ou personnelle. C’est une épée de Damoclès qui nous menace et nous rappelle que notre vie ne nous appartient pas. Comment l’accepter ? Pourquoi l’accepter ? Encore et encore…
En 2018, au Maroc, 14 503 personnes ont été poursuivies au regard de l’article 490 du Code Pénal, qui punit de prison les relations sexuelles hors des liens du mariage. 3048 personnes ont été incarcérées pour adultère. Chaque jour, dans notre pays, entre 600 et 800 avortements clandestins sont pratiqués.
Faut-il mettre toutes ces personnes en prison ? Leurs « complices » (médecins, militants associatifs) aussi ?
Nous croyons que la société marocaine est mûre pour le changement et pour que soient enfin entérinés le respect de la vie privée et le droit de chacun à disposer de son corps. Notre société et notre pays méritent cela. Nous appelons nos gouvernants, nos décideurs, nos législateurs, à faire preuve de courage, à faire ce pas en avant, en engageant un débat national sur les libertés individuelles.
Ce n’est pas un luxe, ce n’est pas une faveur, c’est une nécessité.
Comment favoriser l’épanouissement de la jeunesse, comment permettre la juste implication des femmes dans la société, comment engager réellement notre pays dans le progrès, dans le développement humain, si nos libertés individuelles ne sont pas respectées, si notre dignité est foulée au pied, si nous restons toutes et tous hors-la-loi ?
Toutes et tous hors la loi, jusqu’à ce que la loi change.
Voici la liste des 490 signataires:
Les signatures restent ouvertes à travers l’adresse mail [email protected]