Comment vivent les femmes en milieu rural ? Quelles sont les difficultés qu’elles doivent surmonter au quotidien ? Afin de répondre à ces interrogations, Aouatef Khelloqi et Nada Zraidi, deux réalisatrices baroudeuses, ont sillonné les campagnes du royaume pour rencontrer ces femmes fortes, au caractère bien trempé et au leadership ancré. Leur but ? Donner la parole à ses femmes entrepreneuses à travers Mdaif’In, une série documentaire que l’on retrouve sur les réseaux sociaux. Entretien avec Aouatef Khelloqi, co-réalisatrice de Mdaif’In.
Deux femmes, une vision
Aouatef est née et a grandi en France. La réalisatrice documentaire de formation qui a essentiellement travaillé en Asie centrale, s’intéresse aux questions de minorité ethnique et à la condition de la femme. Nada, de son côté, a étudié en Corée du Sud et en Allemagne avant de suivre en Turquie une formation en création de contenu web. Les deux femmes se sont rencontrées lors d’un master class de réalisation à Casablanca, après avoir échangé sur leur volonté de se lancer dans le documentaire au Maroc, les deux femmes complémentaires se sont lancées. Quand Aouatef est venue s’installer au Maroc, elle a décidé de donner la parole à ces femmes peu médiatisées, les femmes qui vivent en zone rurale.
Mdaif’in, une démarche anthropologique
« Cela fait un peu plus d’un an que l’on sillonne les campagnes du Maroc pour rencontrer des femmes en zone rurale. Ce qui nous intéresse, c’est de montrer ces femmes qui, malgré les conditions de vie difficiles dans lesquelles elles se trouvent, se réunissent pour essayer de construire ensemble une petite coopérative ou des associations informelles. Celles que nous présentons dans nos vidéos, sont à l’initiative et n’ont pas eu d’aide ou d’accompagnement extérieur pour se réunir et se lancer dans l’entrepreneuriat. Nous nous sommes également intéressées à leur parcours de vie», indique Aouatef.
Avant de lancer le projet Mdaif’in, Aouatef a commencé par faire des recherches anthropologiques. Elle s’est rendu compte que 40% de la population marocaine vivait en milieu rural et que 49% de cette population était féminine.
« On les entend peu ces femmes. Elles sont assez étonnées, elles nous demandent pourquoi on s’intéresse à elles, comme si elles n’avaient rien à apporter, il y a également ce sentiment d’être en marge de la société qu’elles partagent. C’est-à-dire que dans un premier temps, nous vivons en immersion avec elles. On ne sort pas nos caméras les premiers jours, nous souhaitons créer ce lien de confiance, afin qu’elles se sentent à l’aise pour que la parole puisse se libérer naturellement. C’est au bout de 3 jours qu’on sort nos caméras, après avoir vécu avec elles et les avoir compris. Il faut aussi montrer patte blanche vis-à-vis des hommes du village. C’est vrai que lorsqu’on repart, des liens sont tissés avec ces femmes, qu’on entretient par la suite, parce que pendant notre immersion nous avons partagé des moments forts », nous confie Aouatef, visiblement émue.
Mdaif’in pour donner la parole aux femmes entrepreneures en milieu rural
« Ce sont des petites coopératives, il n’y a pas plus d’une dizaine de femmes. Elles ont mis en place ces petites structures et y ont investi leur argent. On veut montrer qu’elles savent s’organiser, elles savent produire, mais après elles ont un problème en terme de commercialisation. C’est là qu’intervient la notion de digital qui peut aider. J’évoque cette inclusion numérique, parce qu’elles vivent dans une sorte de fracture numérique. Elles n’ont pas cette culture. C’est pour cela qu’on veut vraiment insuffler leur présence au sein du digital », nous confie Aouatef qui a remarqué la frustration de ces femmes qui, pour la plupart, ont dû quitter l’école à un jeune âge. « Soit pour subvenir aux besoins du foyer, soit parce qu’elles se sont mariées très jeunes, ou encore parce que l’école secondaire n’était pas dans le village et qu’il fallait marcher des kilomètres. C’est pour cela qu’elles travaillent dur, au delà du travail au sein du foyer (on ne parle pas de tâches ménagères): aller chercher de l’eau au puits, faire sortir le bétail et se réunir toutes les après-midi pour essayer de faire vivre leur coopérative et essayer de dégager du revenu grâce à leur travail », nous explique la réalisatrice.
Des femmes qui se battent pour offrir un avenir meilleur aux futures générations
Ces femmes entrepreneures sont également féministes. Si elles travaillent dur, c’est aussi pour permettre à leurs enfants d’avoir un meilleur avenir. Mariées très jeunes, certaines femmes ne souhaitent pas la même chose pour leur fille. Aouatef se souvient avoir rencontré une femme qui s’était mariée à 16 ans, elle lui a demandé si elle pourrait accepter que sa fille âgée de 15 ans se marie. Pour la mère de famille, il en est hors de question. Voici ce qu’elle a répondu à la réalisatrice : « C’est impensable. Si je travaille dur, c’est pour que ma fille puisse avoir un meilleur avenir et qu’elle puisse accéder à l’éducation que moi je n’ai pas pu avoir. »
Même si certaines femmes réussissent à poursuivre leurs études, elles n’oublient pas leur terre natale et reviennent pour aider comme elles peuvent les jeunes générations. « C’est assez intéressant parce qu’elle a souhaité revenir au village pour aider les enfants du village. Elle s’est rendu compte qu’elle a eu une chance de par sa persévérance et l’ouverture d’esprit de ses parents à l’époque. Mais si elle ne faisait rien, les enfants risquaient de rester dans le village », se souvient la réalisatrice qui souligne la place importante de la femme dans la société rurale. Une fois que les femmes arrivent à générer des revenus, elles gagnent en confiance, cela change la donne avec leurs conjoints et elles se rendent compte de l’importance d’être indépendante.
Mdaif’in pour capturer toute la diversité du Maroc
L’objectif d’Aouatef et de Nada est également de montrer toute la diversité du royaume: « pour l’instant, nous sommes allées dans le Rif dans un petit village du centre du Maroc, puis dans un autre village dans le sud, entre Kalaat Magouna et Tinghirt et aussi un village à l’extérieur d’El Jadida. Nous avons tourné dans quatre régions. Nous prévoyons également d’aller dans l’Oriental et dans le Sud, pour présenter un large panel de femmes différentes », nous explique Aouatef.
« Par la suite, nous espérons reprendre la route à la mi-ramadan pour essayer de voir comment elles vivent le mois sacré, comment elles composent avec ce mois, et quelles sont leurs activités au sein de la coopérative qu’elles ont créée » prévoit Aouatef.