Les poteries artisanales de « Mama Aïcha », 82 ans, ne se vendent presque plus au Maroc mais ses techniques primitives attirent des stagiaires du monde entier dans les contreforts du Rif (nord) grâce… aux réseaux sociaux.
« Quand j’ai entendu parler de ce stage sur Instagram, je me suis inscrite tout de suite car la pratique disparait, Mama Aïcha est vieille et son savoir-faire doit être transmis », confie la plasticienne Mirna Banieh, venue de la ville palestinienne de Ramallah.
Ses quatre camarades de stage, assis en tailleur sur des nattes, les mains plongées dans l’argile, ont laissé Londres et Nairobi pour une semaine d’initiation sur les hauteurs d’un hameau perdu au bout d’une piste caillouteuse. Leur but: apprendre à modeler les pièces à la main, les sécher au soleil, les cuire au feu de bois dans un grand trou et les polir avec une pierre avant de les décorer avec des pigments naturels.
Comme partout dans les montagnes du Rif, les femmes potières de la tribu des Sless à laquelle appartient la famille d’Aïcha Tabiz disparaissent: la tribu en comptait environ 90 à la fin des années 1990, il en reste aujourd’hui une demi-douzaine. « Les jeunes d’ici ne veulent pas se salir les mains avec l’argile, ils rêvent d’être fonctionnaires avec des salaires fixes », regrette l’aïeule que tout le monde appelle Mama Aïcha. Le savoir-faire ancestral qui, selon certains experts, remonte à la fin de l’âge du bronze (environ -2000), se perd peu à peu faute de débouchés.
Le plastique, fantastique ?
« Quand j’étais petit, tout le monde utilisait des ustensiles en terre cuite dans la vie quotidienne et ma mère en vendait au marché, mais aujourd’hui tout le monde préfère le plastique », soupire Mohamed, 53 ans, le fils aîné d’Aïcha Tabiz. Des chercheurs, des collectionneurs, des passionnés, pour beaucoup étrangers, mettent en garde depuis des décennies contre la disparition annoncée de cet artisanat transmis de génération en génération.
« On a proposé de créer un musée dans le village… ça n’intéressait pas les autorités locales », regrette Mohamed. La cartographie des potières a été faite dans les années 80-90 par l’anthropologue allemand Rüdiger Vossen, qui a inventorié les techniques et les motifs de chaque tribu.
Les bénévoles de l’association « Terre des Femmes » sillonnent eux aussi les montagnes isolées du Rif depuis des années pour collecter des poteries dans les fermes isolées et les revendre aux touristes dans une petite boutique à Rabat, la capitale. A l’occasion d’un défilé haute couture fin avril à Marrakech, la directrice artistique de Dior, l’Italienne Maria Grazia Chiuri, a également donné un puissant coup de projecteur aux potières du Rif.
Mais c’est grâce à Instagram que le travail de Mama Aïcha s’est taillé il y a peu une réputation mondiale. « C’est un média très utilisé par les potiers, tout le monde poste des photographies de ses créations, échange des astuces et des conseils », explique la Britannique Kim West, une stagiaire de 33 ans. Avec ce bouche-à-oreille planétaire, les stages proposés sur le site internet d’une nouvelle association, Sumano, connaissent un succès foudroyant.
Cette association à vocation sociale créée l’an dernier par deux jeunes Français et une Espagnole entend promouvoir la tradition artisanale des femmes de tribus marocaines (poteries, tissage…) « Toutes les places ont été réservées en deux jours après l’ouverture des inscriptions. On a une liste d’attente avec des demandes du monde entier », explique Martha Valdeon, une Espagnole de 42 ans cofondatrice de Sumano.
Nouveaux motifs
L’oeil pétillant, Mama Aïcha dirige ses élèves avec patience dans l’atelier installé à côté de la ferme familiale. Des feuilles punaisées au mur listent les mots « utiles » en dialecte local: le nom des poteries et des outils, des phrases courantes du type « Pouvez-vous m’aider ? » ou « Que pensez-vous de ça ? ».
La potière enseigne surtout par le geste. Comme la plupart des femmes des régions reculées du Maroc, elle a consacré sa vie à ses champs, ses bêtes et ses enfants. A 27 ans, Houda Oumal, de la tribu voisine des M’tioua, est l’une des rares à vouloir « continuer sur les traces de sa mère ».
Elle vit avec ses parents au sommet d’une montagne perdue au milieu des cultures de cannabis qui font, en toute illégalité, la principale richesse du Rif. Elle a commencé à modeler à 7 ans mais ne sait ni lire ni écrire. On compte cinq mosquées dans les environs mais aucune école. « Ce métier ne nous permet pas de bien gagner notre vie, il faut faire connaitre notre savoir-faire pour que ça devienne rentable », dit-elle avec un sourire timide.
Depuis peu, la jeune femme signe ses créations de son initiale, avec des motifs plus graphiques et de nouvelles formes pour « diversifier ses produits et se démarquer ». « Pour nous, ces pièces sont des oeuvres d’art, elles ont une vraie valeur », souligne Martha Valdeon. L’association Sumano passe commande aux potières, transporte leurs oeuvres en Espagne puis les revend vingt fois plus cher via son site internet. Elle promet de redistribuer des bénéfices localement « quand l’affaire sera rentable ».