Lésée à plusieurs reprises, Amal Hanna, une Egyptienne copte, se bat pour que l’héritage des chrétiennes cesse d’être régi par la loi islamique avantageant les hommes. Mais, malgré quelques victoires, ce combat se heurte encore à de multiples résistances dans son pays.
Depuis les années 1940, la loi islamique en matière d’héritage s’applique de manière indifférenciée aux citoyens musulmans comme aux chrétiens coptes, qui représentent 10 à 15% d’une population égyptienne de 100 millions d’habitants.
Cette loi indique que les hommes héritent du double de la part d’une femme, tandis que l’orthodoxie prévoit elle l’égalité dans l’héritage. Et, en Egypte, la perspective d’octroyer un statut spécial aux coptes suscite la crainte d’une demande élargie aux musulmanes.
Amal Hanna a été lésée une première fois il y a 20 ans lorsque son frère a obtenu le double de sa part dans la propriété parentale. Puis, une seconde fois, après le décès de sa tante, en 2019, quand un tribunal a attribué la totalité des biens à son frère.
« J’étais stupéfaite (…). Cela m’a vraiment affligée car mon frère et moi avons été élevés et traités en égaux », dit la comptable de 41 ans, qui a fait appel.
En novembre dernier, les Égyptiennes coptes ont vu leur combat revigoré après qu’une avocate, Hoda Nasrallah, a pu obtenir une part d’héritage égale à celle de ses frères.
Un tribunal du Caire a donné gain de cause à Me Nasrallah, qui avait invoqué un article de la Constitution garantissant l’application des coutumes orthodoxes aux questions liées au statut des chrétiens. Si cette décision a eu un grand retentissement, elle n’était toutefois pas la première du genre.
En 2016, un tribunal avait déjà tranché en faveur d’une chrétienne qui réclamait la même part d’héritage que son frère.
Résistance
Mais alors que les coptes font l’objet de toutes sortes de discriminations, Elizabeth Monier, spécialiste de cette minorité à l’université de Cambridge (Grande-Bretagne), relève que ce combat fait face à une « résistance » en raison des « normes et pratiques anciennes, à la fois dans le système juridique et dans la société ».
Dans le cas de Me Nasrallah, l’avocate n’a obtenu gain de cause que plus d’un an après le décès de son père, même si elle avait préalablement trouvé un accord à l’amiable avec ses frères pour un partage équitable. Elle dit avoir uniquement porté son affaire en justice dans le but de faire jurisprudence, « en s’appuyant sur la Constitution ». Mais, selon l’avocate, « beaucoup de juges » « sont contre l’application de la loi chrétienne » pour les coptes, laissant tout jugement à la libre appréciation de chacun.
Pour Mme Monier, la justice égyptienne dans son ensemble résiste aussi à l’égalité des citoyens coptes dans l’héritage, parce qu’elle craint que les femmes musulmanes ne la demandent à leur tour.
Initiative tunisienne
Amal Hanna, qui a fait appel en se fondant sur la Constitution de 2014 et le verdict rendu en 2016, est convaincue du rejet de sa demande. Mais elle se dit déterminée à « aller jusqu’à la Cour constitutionnelle, s’il le faut ».
Dans ce combat, les avocats considèrent que l’absence d’un code du statut personnel pour les citoyens de confession chrétienne favorise la résistance des tribunaux.
« Il arrive que les hommes coptes encouragent l’application de la loi islamique car elle sert leurs intérêts », souligne l’avocat Atef Nazmi.
« La création d’un code du statut personnel pour les chrétiens est essentielle pour régler ces différends », estime-t-il.
A ce jour, faute de consensus entre les différentes églises chrétiennes, aucun projet de loi sur un code unifié du statut n’a été présenté au Parlement.
Selon Me Nazmi, cette discorde au sein de la chrétienté égyptienne est alimentée par le divorce -le très strict clergé copte applique des règles rigoureuses au divorce, qu’il n’autorise qu’en cas d’adultère ou de conversion à une autre religion.
En 2018, la proposition de l’ex-président tunisien Béji Caïd Essebsi d’instaurer l’égalité hommes-femmes dans l’héritage avait été vue d’un mauvais œil dans d’autres pays de la région. Acclamée par les laïcs et les féministes, la mesure avait notamment été sévèrement critiquée par la mosquée al-Azhar, grande institution de l’islam sunnite installée au Caire.
Malgré tout, Mme Monier demeure optimiste. « Des femmes coptes ont mené l’affaire en justice et ont eu gain de cause (…). C’est une étape de plus vers l’égalité », clame-t-elle.