Société

Les Algériennes très mobilisées, mais encore prudentes pour leurs droits

Drapeau à la main, avec ou sans foulard, seules ou en famille, les Algériennes descendues en masse dans les rues renforcent le rejet du « système », mais l’espoir de faire avancer les droits des femmes avec cette mobilisation reste fragile, soulignent des manifestantes et des militantes.

La participation féminine « considérable » consolide « l’immense élan collectif populaire » pour exiger le départ du président Abdelaziz Bouteflika et du régime en place, se félicite Fadéla Chitour, professeure de médecine et figure du mouvement féministe algérien.

« Le caractère pacifique des marches a facilité la participation générale », y compris celle de femmes des milieux conservateurs « qui devaient demander l’autorisation d’un homme de leur famille » pour se joindre aux cortèges, relève-t-elle.

Pour Myriam Lakhdari, une avocate de Boumerdès, près d’Alger, venue manifester dans la capitale, il est temps que les Algériennes fassent entendre leur voix, et pas seulement pour donner une touche de folklore aux cortèges.

« La femme algérienne est présente dans tous les domaines professionnels, mais elle doit avoir davantage sa place dans la société. Elle n’est pas là que pour les youyous », souligne-t-elle.

L’Algérie s’enorgueillit de la présence de femmes dans tous les métiers, y compris la hiérarchie militaire, et elles sont majoritaires dans la santé, l’enseignement ou la justice.

Mais selon une note de l’Office national des Statistiques (ONS) d’avril 2018 sur l’emploi, leur part dans la population en activité connaît une « quasi-stagnation », autour de 18%.

Le droit de vote et d’éligibilité à toutes les fonctions leur est acquis, mais les conservatismes sociaux et religieux, dans un pays où l’islam est religion d’Etat, pèsent sur leur présence dans l’espace public au profit du foyer domestique.

Leurs droits juridiques dans des domaines comme le mariage, le divorce ou les successions sont inférieurs à ceux des hommes. Et les fléaux des violences contre les femmes et du harcèlement restent encore faiblement combattus, soulignent les associations qui leur viennent en aide.

En tête des revendications féministes, l’abrogation du Code de la famille de 1984, qui sous l’influence des traditionalistes se revendique de la charia (loi islamique) au détriment de l’égalité entre les sexes pourtant prévue par la Constitution. Des discriminations en matière de statut familial perdurent malgré une révision en 2005.

Pour Meriem Belaala, responsable de l’association SOS Femmes en détresse, la forte participation féminine dans les défilés s’explique aussi par ces inégalités.

« Les problèmes de santé ou d’éducation touchent tout le monde, mais les femmes encore plus parce qu’elles ne sont pas des citoyennes à part entière », souligne-t-elle.

Mais avancer des revendications féministes, potentiellement clivantes au sein de la population, a fait débat au commencement du mouvement de contestation, dominé par des appels consensuels à un changement politique.

Le faible écho des revendications propres aux femmes lors des premières journées de mobilisation a finalement incité des féministes à monter en puissance pour que « les droits des femmes ne passent pas une nouvelle fois à la trappe », souligne Fadéla Chitour.

Désormais, « on veut bien participer aux collectifs politiques, mais il faut pouvoir y injecter nos revendications », ajoute-t-elle.

La mobilisation de nombreuses femmes de tous les secteurs de la société, « y compris les plus conservateurs », va « constituer un repère positif supplémentaire pour installer la mixité comme nouvelle norme sociale », estime pour sa part la syndicaliste et féministe Soumia Salhi.

Mais pour l’instant, « ce qui domine, c’est la revendication politique », même si les droits des femmes « apparaissent ça et là », reconnaît-elle. Une « coordination féministe » a ainsi décidé d’organiser une permanence devant l’université d’Alger les jours de manifestation.

« Il faut aussi penser à l’Algérie profonde » ou le poids des traditions reste tenace, reconnaît Mme Belaala. Et continuer de se battre contre une propagande présentant les droits des femmes comme le combat de « salonnardes à la solde de l’Occident ».

Plusieurs fois par le passé, en particulier après l’indépendance en 1962, « les femmes ont été applaudies, et puis les hommes on repris l’espace public », déplore-t-elle.

« Même si le système s’en va, le plus gros du travail restera à faire. On ne change pas comme ça deux ou trois décennies d’une espèce de dictature, et les mentalités ne changent pas du jour au lendemain non plus », constate-t-elle. « C’est un travail de longue haleine, ce n’est pas gagné ».

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