Les nouveaux espaces de la rencontre
Les nouveaux espaces de mixité jouent à fond leur rôle de liant social: outre l’université (comprendre les études supérieures de manière générale), qui reste un lieu de prédilection avec de belles histoires d’amour en friche, les relations amicales et sociales comme la vie professionnelle créent de nouvelles opportunités, au même titre qu’Internet et les lieux de loisirs nocturnes. La rencontre amoureuse s’y déploie entre deux cours, autour des machines à café, le long des bordures bleues d’un site communautaire (qui fait aujourd’hui pratiquement office de méga-site de rencontres), voire autour d’un dîner ou durant une sortie pour les plus aisés économiquement. Elle peut aussi trouver sa place dans un simple plan «strictement sexe», rémunéré ou pas, qui prend ses aises et ses habitudes pour basculer dans la dépendance amoureuse. Tout est ouvert ou presque pour de nouveaux liens possibles. Mais peut-on vraiment parler de rencontre amoureuse? Les jeux sont un peu brouillés pour le réel décryptage du sentiment amoureux dans une société où la liberté sexuelle se veut un viatique pour la vie adulte avec, pour toile de fond, des relents misogynes d’une société où l’homme ne lâche pas entièrement le lest du jugement dernier sur la « respectabilité » d’une femme. Et ce, même chez les plus jeunes : «Les chances de survie d’une relation sont de plus en plus maigres à cause des réseaux sociaux. Tout le monde connaît tout le monde depuis que Facebook et Twitter existent. Il arrive qu’on soit heureux dans une relation… jusqu’à ce qu’un ex refasse surface, ou que l’homme dont on est amoureuse découvre un passé peu reluisant sur Google. Sans compter les mauvaises langues qui croient connaître la personne en se basant sur un profil FB et qui s’acharnent à salir sa réputation, déplore Nadia. « Une fois un ami m’avait ajouté sur son compte Facebook, avec mon véritable nom et prénom. Il m’a dit que sa boîte a été bombardée de messages de filles qui lui conseillaient de se méfier, parce que j’étais soi-disant séropositive! » Faut-il alors quitter Facebook et consorts ? Chose impossible ou presque : aujourd’hui, tout le monde a une identité sociale sur un réseau, ne serait-ce que parce que sa survie survivre professionnelle en dépend…
Quid de l’amour idéalisé?
Tout cela peut sembler très terre-à-terre, évacuant toute notion de romantisme ou de poésie d’une rencontre. Certes, les coups de foudre existent. Et tout comme les amitiés amoureuses, elles peuvent se métamorphoser en une histoire durable qui peut conduire à une union forte de sens. Mais une rencontre amoureuse, quelle que soit sa nature, exige du temps, de la disponibilité et de l’argent. Et les trois sont des oasis presque utopiques dans un environnement souvent peu propice. Malgré l’apparence d’un choix beaucoup plus diversifié que celui de nos grandes mères, la petite musique des moyens de survie du lien revient toujours en sourdine. Le Net fait certes gagner du temps, mais pour le meilleur et pour le pire : la perception de la rencontre n’étant pas vécue de façon identique de part et d’autre, elle peut entraîner un maelström d’émotions dignes des montagnes russes des parcs d’attractions. Trop rudes en déceptions, les Internet, SMS and co. Tous les témoignages concordent sur ce point : même si tout le monde dit connaître des couples qui se sont formés grâce à une rencontre par écran interposé, tout le monde s’en méfie. Et on joue le jeu plus ou moins facilement selon sa tranche d’âge. Les plus jeunes ont totalement intégré le « cyberespace » comme nouvel espace de vie sociale, rencontres amoureuses comprises, puisqu’ils estiment que l’on décode très vite l’autre avec son «SAV» — le fameux triptyque « Sexe, âge, ville » —, son niveau d‘études et la qualité de sa homepage, plutôt que dans la vraie vie, un peu trop cosmétisée à leurs yeux. Discours inverse chez les trentenaires et plus, pour lesquels la réalité est la seule source fi able qui soit pour jauger l’autre.
Plus ça change, plus c’est pareil
Explosion des mentalités traditionnelles contre le mur de l’urbanité, libération sexuelle, nouveaux espaces de mixité… la rencontre élargit indubitablement son champ d’action par rapport à la génération précédente, sans parler du gouffre abyssal d’avec celle des grands-mères. Quid de sa durée et de sa survie ? Tout dépendra de l’autonomie économique de chacun des partenaires ou encore de leur courage personnel à écrire une histoire d’amour, qui permettra à l’émotion originelle de s’épanouir dans le temps. Cela nécessite un lieu de rencontre et des rendez-vous susceptibles de créer une profondeur et une réelle mise en abyme du couple en devenir. Faute de moyens, avouée ou non, souvent la rencontre ne se vit pas au-delà des premiers rendez-vous, qu’il y ait eu rapports sexuels ou non. Certains s’accrochent, tentent de la prolonger, d’autres moins. Et passés les 35 ans, beaucoup ne placent plus l’amour au cœur de leurs préoccupations essentielles et de leurs priorités lors d’une rencontre, alors qu’ils commencent à recueillir les premiers fruits d’une carrière professionnelle (quand les plus jeunes en sont dépourvus). Dans l’inconscient collectif, c’est pour beaucoup la solvabilité de l’homme qui garantira la viabilité de la rencontre amoureuse ou pas. Car forte économiquement, une femme terrifie encore le genre masculin à la recherche d’un lien plus sérieux, plus durable. Ajoutons-y certaines dispositions du nouveau Code de la Famille qui pourraient faire douter des d’hommes encore peu enclins à intégrer un discours moderniste d’égalité. Et n’oublions pas les nouvelles formes d’addiction qui englobent l’idée que l’on peut se faire du sentiment amoureux. Au final, l’on fi nit par se rendre compte que, hormis le packaging, rien n’a vraiment changé : pour qu’il existe après une rencontre, l’amour nécessite l’abandon d’attentes idéalisées de part et d’autre. Un abandon peu favorisé à l’heure de la tendance du «toujours plus» qui traverse notre société. Encore un petit effort, Cupidon!