Société

Mehdi Echafî: rencontre avec un médecin au cœur de la tourmente

À 34 ans, Mehdi Echafî, surnommé «le médecin des pauvres» est un chirurgien-pédiatre de Tiznit qui défraie la chronique depuis cet été. Il accuse en effet le milieu médical public d’avoir recours à des actes de corruption. Une histoire qui n’a pas fini de faire parler d’elle. Rencontre.

Depuis tout petit, Mehdi Echafî souhaitait devenir médecin. Après l’obtention d’un Doctorat de la faculté de médecine et de pharmacie à Casablanca en 2009, le jeune homme décroche un diplôme de chirurgie pédiatrique toujours dans la même faculté en 2015. Studieux et motivé, Mehdi Echafî se bat pour que son rêve devienne réalité. Il entame alors son parcours professionnel en 2010 à l’hôpital Harouchi à Casablanca où il exerce pendant six ans avant de rejoindre l’hôpital de Guelmim puis celui de Tiznit en 2017. C’est à ce moment-là que sa carrière prend un tournant.

Le jeune médecin réalise alors de nombreuses opérations, parfois sur les patients les plus démunis. Un acharnement et des valeurs qui lui ont valu la reconnaissance des habitants de Tiznit. Mais très vite, le médecin est confronté aux nombreux dysfonctionnements du secteur de la santé. Parmi eux, le manque de moyens et de matériel, des conditions de travail lamentables et surtout, il dénonce des actes de corruption toujours plus courants. Mehdi Echafî s’empare alors de son compte Facebook pour faire part de ces dérèglements et espérer faire évoluer le milieu médical. Mal lui en a pris. Le médecin a été poursuivi en justice par le directeur de l’hôpital pour injures et diffamation et condamné à verser 30 000 Dirhams. Son point de vue expliqué à Plurielle.

Avez-vous toujours rêvé de devenir médecin ? Pourquoi ?

Mehdi Echafî: En fait, étant petit enfant, tout défilait dans ma tête, justicier, policier, gendarme, militaire, personnages de Zorro, de mangas, pilote de ligne, un Michel Vaillant… pour qu’à la fin un amour pour la chirurgie commence à prendre place. Cette faculté de venir en aide aux malades, parfois démunis, et leur redonner la santé et l’espoir d’un avenir meilleur est ce qui m’a motivé à faire ce métier.

En juin 2017, vous rejoignez le centre hospitalier provincial de Tiznit. Combien d’enfants environ soignez-vous par jour ? Combien d’opérations avez-vous réalisées gratuitement ?

Depuis juin 2017, plusieurs parents en compagnie de leurs enfants malades ont commencé à venir à l’hôpital de Tiznit pour des consultations, ce qui n’était pas le cas auparavant. En effet, beaucoup avaient eu de mauvaises expériences avec l’ancien corps chirurgical de cet hôpital. Je recevais en moyenne 30 consultants par jour, entre contrôles post-opératoires, nouveaux cas et urgences. Pour ce qui est du nombre d’interventions chirurgicales, on a dépassé le seuil des 1000 chirurgies à ce jour, avec l’aide d’une équipe formidable et altruiste. Opérer gratuitement, c’est nuancé car tout parent paye ses droits de caisse, si ce n’est un RAMEDiste, sans oublier qu’une partie est mutualiste. J’ai été amené cependant à soigner des enfants malades démunis, mais grâce aux subventions de bienfaisance, j’ai pu assurer leurs frais dans les meilleures conditions.

Vous avez commencé à publier des vidéos pour dénoncer la précarité des soins et la corruption au sein du centre hospitalier de Tiznit. Que leur reprochez-vous précisément ?

 

Je me suis efforcé de servir des enfants désarmés. En entrant à l’hôpital, les parents peuvent subir du chantage de la part de mercenaires de la santé, des agents de sécurité qui font barrage à l’accès aux soins. Par exemple, ce sont ces agents de sécurité qui vont décider si le malade bénéficiera de ces soins ou pas, contre un billet de 20 dirhams ou même plus. Et la liste est longue.

Il y a quelques semaines, une touriste française a également réalisé une vidéo choquante au sein des urgences de l’hôpital Ibn Rochd à Casablanca montrant l’état d’insalubrité des lieux. Le manque d’hygiène est donc monnaie courante dans les hôpitaux du Maroc ?

C’est un vécu, c’est un quotidien. Hygiène ou pas, ceci revient aussi bien à la structure et au citoyen. C’est plus une question d’éducation, de respect et d’actions citoyennes saines et évolutives.

Suite à une vidéo publiée le 23 février, le médecin-chef du CHP vous a attaqué en justice pour injures et diffamation. Que vous reproche-t-il ?

Dès ma prise de fonction au sein de cet hôpital, j’ai connu des litiges avec la direction parce que celle-ci n’aimait pas ma façon de travailler. Pourtant, j’ai essayé de faire les choses normalement c’est à-dire prendre les enfants en charge quand cela était nécessaire, procéder aux soins en temps et en heure et surtout, ne pas pratiquer de corruption. Mais je me suis rendu compte que la «normalité» n’existait pas au sein de cet établissement et qu’elle dérangeait. Le directeur a commencé à me harceler professionnellement, cherchant des fautes là où il n’y en avait pas et essayant de salir ma réputation. Il m’a ainsi reproché de nombreuses choses et a demandé à une commission d’enquête, désignée au sein de la province, d’étudier mon cas. Cette dernière n’a pas réussi à prouver une quelconque faute mais m’a dit un jour « à force de soigner autant de patients sans rien demander en retour (ndlr : du bakchich), tu fais perdre de l’argent à l’hôpital ». Il y avait donc de nombreux problèmes avec le directeur mais je n’en tenais pas compte et continuais à faire mon travail jusqu’à arriver à ce fameux litige d’avril 2018 qui a mené au procès. Ce dernier concerne le directeur du CHP, le délégué provincial de la santé, le directeur régional de la santé ainsi que le Ministère. Tout a commencé par une publication sur ma page Facebook, dénonçant le fait que le directeur ait interdit une fillette de 6 ans que j’avais déjà opérée auparavant, de bénéficier de ses soins et ait menacé l’infirmier responsable des soins de licenciement. À ce moment-là, je participais à l’European Pediatric Ortopedic Surgery qui se tenait à Oslo en Norvège. Ne pouvant pas rentrer rapidement au pays, faute de vols disponibles, la seule façon de me faire entendre était une publication Facebook où j’ai exposé les faits, vu que l’enjeu majeur pour moi était le pronostic fonctionnel et esthétique du pied gauche de cette fillette qui risquait l’amputation. Ce fut la goutte de trop. Le directeur, en complicité avec le délégué provincial de la santé et le directeur régional de la santé, ont commencé à monter des mises en scène avec des scénarios studieux, en se basant sur de faux témoignages et en diffamant ma personne et mon intégrité professionnelle, me traînant vers des commissions d’enquête et conseils disciplinaires pour m’affaiblir et contrer ma volonté de soigner.

Le Ministère de la santé vous accuse également de «fautes graves» de quoi s’agit-il ?

On me tient responsable, entre autre, d’avoir refusé de soigner un enfant sans raison valable et envoyé vers l’hôpital régional d’Agadir. Il est vrai que j’ai dirigé cet enfant et sa famille vers l’hôpital d’Agadir mais seulement parce que je n’avais pas le matériel nécessaire à Tiznit pour le soigner. Or, j’avais déjà rédigé de nombreux écrits à l’attention de la direction régionale de la santé et même au Ministère de la Santé pour leur faire part du manque cruel de matériel chirurgical au sein de l’hôpital, nécessaire aux soins et aux opérations. Souvent, j’étais obligé de demander aux parents d’aller acheter le matériel pour pouvoir opérer leurs enfants. Ce n’est qu’après l’échec des conseils disciplinaires à prouver ces soi-disant fautes que cette “mafia” s’est lancée dans sa procédure juridique jouant ainsi ses dernières cartes. J’ai alors été condamné pour injures et diffamation par le tribunal à hauteur de 30 000 Dirhams. Décision à laquelle j’ai fait appel parce que je ne suis pas d’accord avec ce verdict. Je ne peux pas me taire. Ma mission est de venir en aide aux familles démunies, souvent illettrées, qui ne connaissent pas leurs droits. Je me bats avant tout pour le droit à la santé de ces enfants et lutte contre la corruption.

Avez-vous décidé de présenter votre démission ou êtes-vous toujours en activité ?

Oui, ma démission a été déposée au bureau d’ordre et transmise de ce fait au Ministère. Ce dernier l’a refusée mais je reste sur ma position et compte bien, une fois le procès terminé, entamer la procédure juridique pour qu’elle soit acceptée. Mais entre temps, je continue à opérer les enfants malades.

Vous avez déclaré que si le Maroc ne voulait pas de vous, vous partiriez. Est-ce une option toujours envisagée ?

Quitter le Maroc, option envisagée ou pas, ceci dépend de l’action ou l’inaction des responsables ministériels et de leurs volonté à vouloir trancher et faire bouger les choses toujours dans un sens d’intérêt public. Pour le moment, je ne me pose pas trop la question de savoir ce que je vais faire, je vis au jour le jour. Mais il est vrai qu’au sein de l’hôpital de Tiznit et dans le réseau de la santé, j’ai découvert une véritable mafia qui est en train de faire du commerce. Ce sont des mercenaires de la santé, ce ne sont pas des médecins, ils ne sont pas au service des citoyens mais plutôt au service de leurs propres poches. C’est l’enrichissement personnel qui prime et cela doit changer. Parce qu’au lieu d’utiliser son énergie pour la recherche scientifique, de développer les techniques chirurgicales, de participer aux manifestations internationales tels que des congrès européens ou américains, on est en train de lutter pour des miettes.

Votre histoire a provoqué un véritable tollé et des centaines de personnes ont pris votre défense et vous ont soutenu. Vous attendiez-vous à de telles réactions ?

Oui, car ceci est l’expression et le vrai sens d’un travail laborieux et continu. On ne récolte que ce que l’on sème. Je bénéficie d’une bonne notoriété dans la région de Tiznit et dans ses environs mais seulement parce que les gens me connaissent bien. Ils savent que mon objectif est de venir en aide aux enfants et d’effectuer le plus d’opérations possibles pour leur rendre la vie meilleure. Ils ont été témoins de mon engagement et de ma bienveillance. Avant que je n’intègre l’hôpital de Tiznit, personne n’osait venir s’y faire soigner parce qu’ils savaient que la corruption était monnaie courante. Je suis le premier médecin à programmer des opérations et à faire mon travail correctement, sans demander de bakchich. Vous savez, je n’ai jamais fait ce travail pour l’argent mais pour l’amour de la médecine.

Comment imaginez-vous l’avenir du pays ?

L’humanité et les civilisations ont vu leur histoire se construire à travers les siècles. Par des actions constructives, par des différences et des conflits sociaux, les leaders ont su tirer profit pour guider la voix du changement bénéfique à la société et au citoyen. Le Maroc évolue dans le bon sens et on est à une phase transitionnelle comme bon nombre de nations. Les idéologies, le fanatisme, la contribution cybernétique y sont de mise. Il faudrait juste savoir influencer dans un cadre approprié, positif, sain et productif. Je crois au changement, je crois en la volonté, je crois en un Maroc meilleur. Les ressources humaines ne manquent pas, mais ce qui manque est la volonté. On peut lutter contre la corruption mais il faut savoir que face à la maladie on n’est rien, on ne peut pas la vaincre sans soins.

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